Par CAS-INFO

Depuis plusieurs semaines, le litige opposant la société de droit congolais CGTCC SARL aux entreprises Huawei Technologies Co. Ltd et Huawei Technologies Rdc Sarl occupe l’actualité congolaise et suscite de nombreuses inquiétudes quant aux dérives de certaines figures d’autorités du système judiciaire congolais. Lesquelles menacent l’impartialité de la Justice et, par conséquent, notre état de droit. Une condition sine qua none au bon fonctionnement de toute démocratie se respectant. CAS-INFO revient sur cette affaire…

Avant d’entrer dans le fond, un petit rappel sur la chronologie s’impose. Après une tentative de collaboration avortée avec Huawei, GTCC a assigné cette dernière en justice avec succès. Le Groupe chinois, leader mondial des Télécoms, a été condamnée à 55 millions de dollars américains en remboursement au titre d’une redevance qui aurait été payée au Trésor public par GTCC pour sa licence 3G. Huawei et sa filiale en RDC ont en plus toutes deux été condamnées conjointement à 50 millions de USD pour un prétendu préjudice subi par GTCC et pour une supposée utilisation frauduleuse du plan d’affaires de GTCC.

Plus tard, la Cour d’appel a maintenu la condamnation du Groupe Huawei et de sa filiale RDC aux dommages-intérêts à ($50 millions) mais a annulé la condamnation du Groupe à rembourser la redevance de la licence télécom 3G pour défaut de preuve de paiement. Une première victoire qui l’a amené à se pourvoir en cassation concernant le jugement du Tribunal de Commerce Kinshasa / Gombe. La Cour de cassation a tranché en faveur de Huawei à l’issue d’une décision annulant le jugement du tribunal de commerce de Kinshasa/Gombe, décision qui a désormais autorité de la chose jugée. Ce qui signifie qu’il n’est plus possible de revenir sur cette dernière. Or, nous verrons que c’est précisément ce que tentent de faire certains juges, notamment ceux du Tribunal du Commerce de Kinshasa/Gombe.
À l’origine du litige : Une collaboration qui ne prend pas

Porteuse d’un projet de construction d’un réseau de télécommunications, la société GTCC au capital de 17.000 USD, détenue par Adrien Wawa Boronse à 61% (environ $10 000), s’était orientée fin 2006 vers Huawei. Par manque de moyens, elle avait demandé au Groupe de l’appuyer dans la recherche de financements auprès de bailleurs de fonds ; dans la fourniture et l’installation d’équipements de Télécoms, après la signature d’un contrat commercial et du paiement du prix des équipements et des services. Huawei posa la condition que GTCC détienne une licence valide « d’Opérateur Télécom 3G », une garantie solide aux yeux des éventuels bailleurs de fonds. A la suite de quoi un protocole d’accord fut signé par les deux parties en janvier 2007.

Mais la licence présentée par GTCC, qu’elle avait obtenue en 2005, dispose à son article 39 qu’elle ne deviendra valide qu’après le paiement d’une redevance de 55 millions de dollars américains au Trésor Public de la République démocratique du Congo. Sans quoi cette licence n’aurait aucune légalité et sera aussi utile qu’un bout de papier journal…

D’où la demande exprimée par Huawei de se voir présenter par GTCC la preuve du paiement de ladite redevance. Toutefois, d’après nos sources, il semblerait que GTCC n’ait jamais satisfait à cette préoccupation légitime. Nous apprendrons également qu’en réalité, la société GTCC n’avait jamais réglé – même partiellement – le montant de la redevance due à son autorité de tutelle. Ce qui conduira à l’annulation de sa licence le 15 octobre 2007 par le ministère des Postes, Télécommunications et Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (PTNTIC).

Or, selon le protocole d’accord signé par Huawei et GTCC, si dans un délai de douze mois, un contrat commercial ne venait pas à être signé entre les parties, ce protocole prendrait fin automatiquement nous indique l’une de nos sources qui a suivi le dossier de près. C’est exactement ce qui a eu lieu puisqu’au bout de douze mois, aucun contrat n’a été signé entre GTCC et Huawei. Cette dernière n’ayant souhaité s’engager dans la mesure où la condition d’obtention d’une licence valide n’était pas remplie.

11 ans après les faits, GTCC revient à la charge contre le Groupe Huawei et sa filiale en RDC

En effet, en décembre 2018, la société GTCC traîne Huawei et sa filiale en RDC devant la justice en réclamant au Tribunal de commerce de Kinshasa/Gombe (RCE 5900) la condamnation Groupe au remboursement de 55 millions de dollars américains au tire de la redevance que GTCC aurait supposément payé à l’État congolais pour l’obtention de sa licence 3G ; également, la condamnation conjointe du de Huawei et de sa filiale RDC à 50 millions de dollars américains au titre de dommages intérêts pour prétendu préjudice général subi et prétendue utilisation frauduleuse par le le Groupe du plan d’affaires de GTCC en créant au Congo, Huawei RDC, qui exploiterait aujourd’hui ce plan d’affaires.

Se pose une question fondamentale : GTCC est-elle dans son bon droit ? Nos recherches nous ont amené à dire que non. Tout d’abord, le remboursement de la somme de 55 millions de dollars américains parait absurde et injustifié puisque cette dernière n’a jamais été payée par GTCC au Trésor Public congolais. Pour preuve, l’arrêté ministériel N°118/CAB/MIN/PTT/2007 du 15 octobre 2007 portant retrait de licence de concession des services publics à un opérateur de télécommunications montre bien que cette licence détenue temporairement par GTCC n’était pas valide et qu’elle lui a été retirée par la suite. Dès lors, même la demande de dommages et intérêts semble injustifiée.

Autre point au cœur du litige : l’éventuel consultation par le Groupe Huawei du plan d’affaires de GTCC, qui, d’après cette dernière, aurait conduit à la création de Huawei RDC. Nos sources nous ont indiqué que le plan d’affaires communiqué à Huawei par GTCC devant le Tribunal de commerce de Kinshasa/Gombe en janvier 2019 portait sur la création d’un opérateur Télécom. Ce que n’est pas, jusqu’à preuve du contraire, Huawei RDC qui se présente comme un fournisseur de services d’installation et de maintenance des équipements de télécommunications ! Raison pour laquelle, très simplement, Huawei RDC fonctionne légalement sans avoir à fonder son activité sur une licence Télécom. D’autant plus que la société Huawei RDC a été créée en février 2006, soit un an avant la signature du protocole d’accord avec GTCC le 25/01/2007.

Une justice partiale constitue une sérieuse menace pour l’état de droit, la démocratie et l’attractivité économique de la RDC

En août dernier, le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Kinshasa/Gombe a été cassé par la Cour de cassation de la République démocratique du Congo dans son arrêt (RPP 522) du 30 août 2021. Ce qui a naturellement motivé Huawei à saisir le Tribunal de Commerce de Kinshasa/Gombe pour demander la mainlevée des saisies des créances et l’annulation du commandement aux fins de saisie immobilière. En effet, dès les 23 et 24 août 2021, GTCC s’était prévalu des décisions du Tribunal du Commerce et de la Cour d’appel pour saisir les comptes bancaires de Huawei RDC auprès des banques, les créances de Huawei auprès de ses clients et les locaux de à Kinshasa. Une action au bienfondé juridique maintenu par le Tribunal du commerce malgré la décision de la Cour de cassation : les huissiers ont poursuivi les opérations de saisie attribution en poussant les banques à payer à GTCC les sommes saisies et ont également poursuivi la procédure pour exproprier Huawei RDC de ses immeubles à Gombe.

Comment expliquer le rejet du juge du Tribunal de commerce de ces deux demandes sous prétexte que l’arrêt de la Cour de cassation ne serait pas applicable au jugement du Tribunal de Commerce de Kinshasa/Gombe ? Que comprendre de cette décision loufoque sinon que le(s) juge(s) entendent violer délibérément les dispositions de la Constitution du 1er février 2011 qui indique que l’ordre judiciaire est composé des cours et tribunaux civils et militaires placés sous le contrôle de la Cour de cassation.

Face à un tel déni de justice, on est en droit de se demander si des pressions sont exercées à l’encontre des juges du Tribunal de commerce pour que ceux-ci fassent preuve d’une telle mauvaise foi… Quel impact aura leur décision, si elle est maintenue, pour l’attractivité internationale de la République démocratique du Congo dans un contexte de Covid-19 qui a déjà grandement dégradé notre économie ? Est-ce le signal que nous souhaitons envoyer aux investisseurs internationaux ? Celui d’un État où des décisions judiciaires sont prises par des autorités qui semblent à la fois juges et parties ? Où pour avoir choisi de refuser – de manière tout à fait légitime – un partenariat, leurs entreprises peuvent être poursuivies ?

Deux audiences se tiendront les lundi 27 septembre et mercredi 29 septembre 2021. Nous espérons qu’elles suffiront aux autorités pour, enfin, rétablir la justice. Car pour paraphraser un célèbre penseur noir : « Là où la justice est niée, où l’ignorance prévaut et où une classe est amenée à penser que les sociétés sont une conspiration organisée pour les voler et les dégrader, ni les personnes, ni les biens, ne sont en sécurité. »

CP, Professeur des universités, Honorine Matondo.