F. Tshisekedi lors d'un meeting place Sainte Thérèse à Kinshasa - Photo campagne Fatshi.

Par CAS-INFO

C’était attendu et c’est désormais chose faite. Félix Tshisekedi remporte la présidentielle de décembre 2023 en République démocratique du Congo avec un score qui frôle la soviétique: 73,34% de suffrages, selon les résultats provisoires proclamés par la commission électorale dimanche à Kinshasa. Il surclasse ses 25 concurrents, notamment l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, relégué à 18%. Si le président congolais partait favori face à une opposition divisée, il est aussi celui qui a mobilisé les plus gros moyens. Parcourir le vaste territoire congolais et ses 26 provinces n’était pas à la portée de tous même pas à celle de l’homme d’affaires katangais.

Mais si Félix Tshisekedi savoure cette victoire écrasante et historique, il le doit aussi et surtout à une campagne électorale qui a brusquement viré sur des considérations identitaires. « Ces candidats de l’étranger viendront vous voir avec des promesses mensongères… vous les reconnaîtrez par leur incapacité à nommer notre agresseur, le Rwanda », lançait le candidat-président lors de son entrée en campagne le 19 novembre dans un stade des Martyrs bondé. Le ton de la campagne était donné. Une orientation surprenante puisque le chef de l’État qui briguait un second mandat était plutôt attendu sur son bilan et nullement sur le terrain nationaliste. Le modéré Tshisekedi avait surtout rassuré l’opinion congolaise alors alertée par la dérive discriminatoire en prenant ses distances avec la « loi Tshiani », une proposition de loi controversée qui visait à exclure de la présidentielle tout congolais dont les parents n’étaient pas à 100% congolais. Autrement dit, l’opposant Moïse Katumbi dont le père est gréco-juif.

« Défendre la terre de nos ancêtres »

Le texte n’a certes pas été étudié par l’Assemblée nationale, mais il a suffi pour causer des dégats et nourrir la rhétorique nationaliste du clan présidentiel, lequel n’a pas boudé son plaisir d’exploiter les craintes de l’auteur de la loi, Noël Tshiani. Dans son entreprise d’exclusion, l’ex-banquier craignait en effet de voir le pays souffrir de conflits d’intérêts si un jour un Congolais à la nationalité partagée venait à être élu à la magistrature suprême. En cas de problème, pour quel pays ce dernier se positionnera-t-il, la RDC ou le pays de ses parents, n’a cessé de marteler Noël Tshiani. Un argument recyclé tout au long de la campagne électorale par les lieutenants de Félix Tshisekedi, notamment l’ancien vice-président devenu ministre de la Défense, Jean-Pierre Bemba, dont les attaques à l’encontre de l’opposant lushois, accusé de détenir un passeport zambien, auront été les plus virulentes. Si l’opposition dénonce les fraudes ayant conduit à la réélection de Félix Tshisekedi, il n’est pas exclu que ce discours nativiste empreint de nationalisme ait mobilisé les électeurs en faveur du pouvoir sortant. Les habitants de l’est du pays, par exemple, sont plus sensibles au message incriminant l’étranger, eux qui souffrent depuis des décennies des guerres et agressions emmenées sur leurs terres par les pays voisins.

Au-delà de l’exclusion des politiciens à nationalité problématique, de quelques 250 fonctions publiques considérées comme relevant de la souveraineté nationale, la loi Tshiani, avortée, mais malicieusement exploitée durant cette campagne électorale, laissera des traces. Elle lègue à Félix Tshisekedi un pays divisé, où les Congolais métissés et à la peau claire sont indéxés et où beaucoup de Congolais redoutent la résurgence du tribalisme et ses conséquences incalculables. En dehors d’immenses défis sécuritaire, économique et politique qui l’attendent, l’heureux réélu sait qu’il a un pays à unir. Même si le principal intéressé ne s’est lui-même pas empêché, au soir de sa réélection, de proclamer devant ses partisans que « l’enjeu était désormais la défense de la terre nos ancêtres». Agiter jusqu’au bout la fibre identitaire.