Par CAS-INFO
Il y a 58 ans la Republique Démocratique du Congo vivait l’histoire tragique d’un « colis », nom de code donné au Premier ministre de l’indépendance Patrice Emery Lumumba. Ciblé par ses détracteurs après son discours hostile contre la Belgique et les occidentaux, le 30 juin 1960, placé en résidence surveillée, en fuite, puis arrêté le 1er décembre 1960, au bord du fleuve Congo, à Ilebo, le « colis » devait ensuite être trimballé entre Thysville, actuel Mbazangungu et Élisabethville, devenu le Katanga, où il sera liquidé quelques semaines plus tard.
58 ans plus tard, retenu à la frontière entre la Zambie et la RDC, l’opposant Moïse Katumbi est devenu, dans l’histoire politique du pays, un nouveau « colis » dont le régime de Joseph Kabila n’a pas souhaité prendre le risque de s’encombrer. Contraint à l’exil depuis deux ans et objet des affaires judiciaires en cascade, l’ancien gouverneur du Katanga a tenté deux jours de suite une traversée périlleuse vers sa terre natale sans jamais y parvenir. La faute, aux autorités congolaises qui ont refusé d’accorder autorisation à son avion d’atterrir à l’aéroport de la Luana, à Lubumbashi, puis, aux services frontaliers qui, de façon étonnante, ont déserté leurs bureaux aussi longtemps que Katumbi s’y présentait, pour se faire remplacer par les forces de sécurité chargées de veiller à empêcher l’ex gouverneur de traverser.
« A-t-on jamais vu un gouvernement interdire à un soi-disant fugitif de se rendre ? », a ironisé sur twitter le directeur de cabinet de Moïse Katumbi, Olivier Kamitatu. Alors que les autorités Zambiennes venaient de signifier à l’opposant le « refus » de Kinshasa de le laisser franchir la frontière « pour rentrer dans son propre pays », a ajouté, dépité, l’ancien ministre.
« Arrêtez-le ou disculpez-le ! »
Le choc qu’a suscitée la rocambolesque histoire de Katumbi, ce seul suspect au monde dont la justice de son pays et tout l’appareil de l’État n’ont jamais voulu se saisir alors qu’il venait « se livrer », a donné lieu à un sentiment d’indignations mêlé à l’incompréhension. Y compris dans tous les camps politiques. Rédacteur dans un médias proche du Pouvoir, le journaliste Jean Pierre K., plutôt connu pour ses posts dérangeants contre l’opposition, lançait par exemple samedi sur Facebook, « arrêtez-le ou disculpez-le ! ». Estimant que le peu d’image que pouvait encore disposer la justice congolaise en dépendait.
« Des années qu’ils vocifèrent… « mandat de prise de corps » … « ordre d’arrestation » … bla bla bla. Leurs allégations s’écroulent comme un château de cartes. », s’est, pour sa part, fendue Carine Katumbi, l’épouse de l’opposant, qui n’a pas hésité à moquer ce drôle de « créancier » qui refuse d’ouvrir la porte ou demande à ses enfants de ne pas l’ouvrir à son « débiteur ». L’explication est pourtant simple et madame Katumbi le sait parfaitement bien. Candidat le plus dangereux parmi les adversaires de Joseph Kabila, Moïse Katumbi que quasiment tous les sondages donnent vainqueur est un homme à ne pas s’encombrer pour le Président de la république dont personne ne sait s’il brigue ou pas un troisième mandant.
À deux jours de la date butoir de l’enregistrement de candidatures, Joseph Kabila, ne verrait pas de mal – et c’est même le meilleur des scénarios qu’il puisse mettre en place – de laisser hors des frontières nationales son ex bras droit qui, selon toute vraisemblance, et ce verrouillage du pays le confirme un peu plus, représente la plus grande menace contre son projet de se maintenir au Pouvoir. Pas question non plus de l’arrêter. Car comment gérer un prisonnier de ce calibre, à la fois aux yeux de la communauté internationale et de l’opinion nationale où le candidat d’Ensemble est si populaire ? Réponse, Joseph Kabila et ses stratèges l’ont trouvée : laisser le « colis » Katumbi « moisir » à la frontière. Le reste on verra après la fermeture de bureaux de réception des candidatures.