Par Japhet Tekila, Assistant au département de droit international public, Université de Kinshasa
Cinquante-huit ans après la conférence d’Addis-Abeba ayant conduit à l’adoption de la Charte de l’Organisation de l’unité africaine devenue l’Union africaine, le 25 mai 1963, les bâtisseurs de l’organisation continentale ont sans doute structurellement réalisé leur mission. Ils ont réussi à esquisser un cadre qui permet à ceux qui ont entre leurs mains le destin de l’Afrique de débattre de problèmes communs. Ils étaient tout à fait conscients « du fait que la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont des objectifs essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains ». Ils avaient clairement manifesté leur volonté de régler tous les problèmes africains dans le cadre des institutions africaines en instituant une commission de médiation, de conciliation et d’arbitrage destinée à régler les différends par des voies pacifiques (art.19). A certains égards, l’un des acquis majeurs de l’OUA a été la répudiation de la domination coloniale et des phénomènes apparentés.Au-delà de tout angélisme comme de tout pessimisme excessif, cinquante huit ans plus tard, la réalité n’a sans doute pas été à la hauteur des espérances. Çà et là, subsistent encore de manière anachronique des entraves au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme l’occupation illégale du Sahara occidental par le Maroc ou encore la survivance du néocolonialisme. Un observateur averti, Guy Martin, constate « la survivance du système colonial en dépit de la reconnaissance formelle de l’indépendance politique (aux Etats décolonisés) victimes d’une domination indirecte, plus subtile, par des moyens politiques, économiques, sociaux, militaires, techniques ». Sinon, comment expliquer, au plan économique, le rôle prépondérant de la France dans la définition de la politique monétaire et bancaire des Etats de la zone franc (FCFA) ? Pour l’heure, l’analyse des manifestations du néocolonialisme excède les limites du présent propos.D’une certaine manière, la capacité d’action de l’Union africaine est affectée, de différentes façons, par les politiques décidées par les grandes puissances qui siègent au Conseil de sécurité. Nous pouvons illustrer cette situation en évoquant l’affaire du Grand Barrage de la Renaissance qui oppose principalement l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan. L’implication du Conseil de sécurité a conféré à la crise une certaine complexité qui rend beaucoup plus difficile la capacité de l’Union africaine d’influencer les parties. Même si l’Acte constitutif de l’Union africaine proclame son adhésion aux principes formulés par la charte de l’ONU, dont les Etats africains sont membres, on ne saurait négliger la nécessité de promouvoir « des solutions africaines aux problèmes africains ». Cela dit, on peut émettre des réserves sur les tentatives d’utiliser la machinerie des Nations unies dans le règlement des différends africains. Pierre François Gonidec observe : « Les organisations internationales universelles, auxquelles participent les Etats africains, ne sont pas politiquement neutres ». Seuls les rapports de force mènent le jeu !Le réquisitoire contre l’Union africaine est particulièrement sévère en matière d’Etat de droit et de démocratie. Faute d’un début sérieux d’instruction à charge et à décharge, le tribunal de l’Histoire n’a pas encore pris la cause en délibéré. Cependant, le procès qui se déroule devant le tribunal de la Raison indique que la pratique de l’Union africaine n’a pas correspondu au droit qu’elle a elle-même adopté. L’une des clauses novatrices de l’Acte constitutif de l’U.A. du 11 juillet 2000 est celle qui envisage la « suspension » des « gouvernements qui accèdent au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels » aux activités de l’Union africaine (article 30). Cette disposition part du présupposé selon lequel toute constitution en vigueur représente « l’ordre désirable qui, dans une société donnée, constitue une ligne de force de la mentalité collective où elle cristallise le consensus dominant ». Pour Sayeman Bula-Bula, elle a également le mérite d’ôter des mentalités de certains hommes en uniformes que le port de l’arme à feu leur confère un titre juridique afin de faire ou défaire, avec ou sans le soutien des puissances étrangères, des gouvernements issus des urnes de manière régulière, libre, transparente et démocratique. Or, tel n’est pas toujours le cas, au bas mot. Réuni en mode virtuel lors de sa 996ème réunion tenue le 14 mai 2021, aux fins d’examiner le rapport de la mission d’enquete au Tchad, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine s’est livré à une véritable alchimie. Le dispositif de son communiqué « réitère son rejet total de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement sur le continent » en rappelant notamment l’article 4 (p) de l’Acte constitutif de l’UA. Mais, au lieu d’en appeler avec fermeté à la restauration de l’ordre constitutionnel dans le pays, le Conseil de paix et de sécurité de l’U.A. fait bénéficier aux putschistes du Conseil militaire de transition de la plus grande mansuétude « compte tenu de la complexité de la situation sécuritaire actuelle au Tchad ». Il est plus que discutable que la succession héréditaire au sommet de l’Etat tchadien soit compatible avec les principes fondamentaux de la démocratie, de la bonne gouvernance et de l’Etat de droit promus par l’Union africaine. La position du Conseil de paix et de sécurité résulte d’une dérive dans le fonctionnement de l’U.A. qui consacre une pratique de deux poids deux mesures. La solution logique consisterait à rétablir tel quel l’ordre constitutionnel violé.C’est par ailleurs le lieu de souligner les résultats moins brillants obtenus par l’Union africaine en matière de développement. Le Pape Paul VI déclarait que « le développement est le nouveau nom de la paix ». L’Afrique connait actuellement une régression historique marquée par l’aggravation des inégalités et le mépris des droits économiques, sociaux et culturels des populations. Les rapports annuels du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ont établi un profil de pauvreté qui comprend l’élaboration d’un seuil de pauvreté, en mesure monétaire (1$ par jour et par personne) et en mesure alimentaire. Ils indiquent clairement que le cercle des pauvres sur notre planète s’élargit ; les zones de pauvreté étant essentiellement situées au Sud, privé de grandes voix comme l’avaient été celles de Chou En Lai, Nehru, Nasser, Soekarno, N’Krumah, Patrice-Emery Lumumba. A travers le thème de l’année 2021 consacré aux Arts, à la culture et au patrimoine comme des leviers pour construire l’Afrique que nous voulons, ce 58ème anniversaire de l’Union africaine est une opportunité de renforcement de la coopération entre les Etats dans les domaines de la culture. L’Afrique doit s’unir, disait Nkrumah. Cette exigence de l’unité culturelle africaine ne devrait pas faire oublier les identités nationales et en tirer les conséquences, par exemple en préconisant l’utilisation des langues africaines dans l’enseignement. La Charte de la renaissance culturelle africaine adoptée depuis 2006 à Khartoum au soudan établi le lien entre la culture et le développement. L’un de ses objectifs est de renforcer le rôle de la culture dans la promotion de la paix. Cette dimension culturelle du développement traduit une préoccupation commune à tous les peuples d’Afrique. Enfin, les défis majeurs actuels de l’Union africaine consistent à faire des efforts dans l’application du Plan d’action de Lagos qui s’assigne comme objectif le développement endogène, auto-entretenu et auto-suffisant. Si des efforts ont bien été faits dans ce sens, ils n’ont pas été à la hauteur des défis.
Par Japhet Tekila, Assistant au département de droit international public, Université de Kinshasa