À la veille de la fin du dialogue politique convoqué par le chef de l’État, le climat politique est tendu en République Démocratique du Congo. Quelques faits démontrent même que cette tension risque de monter encore d’un cran : les brusques violences qui ont éclaté il ya quelques jours à Kasumbalesa, une cité située à une centaine de kilomètre de Lubumbashi, à la suite d’un enjeu sécuritaire, pourtant, local, mais qui a dégénéré. Le président du G7, la plateforme qui soutient la candidature de l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi s’est vu interdire d’atterrir dans son fief de Kalemie. Alors que le Rassemblement, la grande coalition de l’opposition qui avait boycotté le dialogue continue brandit la menace d’un soulèvement populaire au cas où le président de la République ne quittait pas le pouvoir au terme de son mandat le 19 Décembre 2016.
Ajoutons à ce tableau, la réplique du gouverneur de Kinshasa. Interrogé samedi depuis la Cité de l’OUA sur l’éventualité d’un recours à la «rue» par l’opposition, André Kimbuta a eu ces mots : « il n’y a que Jésus qui peut soulever cette ville ». Un message clair. Preuve de l’état d’esprit dans lequel se trouve le pouvoir face à une opposition qui n’en finit pas d’agiter l’article 64 de la constitution.
« Joseph Kabila contrôle la situation…il a encore la mainmise sur l’appareil de l’État »
Au-delà du gouverneur de la capitale, présenté comme l’un des hommes puissants du régime, ses propos sont la démonstration d’une certaine tranquillité dans le chef du pouvoir de Kinshasa. Particulièrement de Joseph Kabila, lui-même, qui démontre depuis le début de la crise que, malgré la pression, c’est lui qui dicte le tempo.
« Il contrôle la situation, sinon, il aurait déjà perdu, depuis longtemps, les armes de l’initiative. Il n’y a rien qui lui a été retiré par la pression. Il a su gérer la pression. Il a encore la mainmise sur l’appareil de l’État », décrypte un journaliste kinois, observateur de la politique congolaise depuis de longues années.
Depuis le début, en effet, c’est le chef de l’État qui mène le jeu. Et Joseph Kabila a su, pour cela, s’appuyer, d’abord, sur deux piliers : les institutions politiques, puis (en ce moment) le dialogue.
L’opposition débordée à gauche par la Commission électorale, doublée à droite par la Cour Constitutionnelle
Dès le 29 juillet 2015, lorsque la CENI sollicite l’avis de la Cour constitutionnelle (au sujet de son propre calendrier électoral) sur la poursuite ou non du processus électoral, la machine qui allait conduire au glissement se mettait en marche. Car dans la foulée, tout en se déclarant incompétente pour interpréter la loi, la Haute Cour ne s’empêche pas d’enjoindre à la CENI d’organiser d’abord les élections des gouverneurs et des vices gouverneurs des 21 nouvelles provinces avant les provinciales. Tout le cycle électoral est bloqué.
Dans la même logique et sous le silence (innocent ?) du chef de l’État, en Mai 2016, la Cour Constitutionnelle tranche pour le maintien de Joseph Kabila à la tête du pays en cas d’absence d’élections. Voilà l’opposition forcée au dialogue qu’elle refuse jusqu’à présent. Les explications de notre journaliste kinois :
« Nous avons un dialogue encours. Et ce dialogue se tient au moment où il [Kabila] veut, c’est-à-dire, pour obtenir une rallonge du mandat, mais aussi avec l’assentiment de la communauté internationale qui va se ranger au momentum du président. Elle est en train de soutenir ce dialogue dans le format qui est le sien aujourd’hui ».
À propos du dialogue, justement, l’éditorialiste Kinois conforte l’idée que c’est bien le président qui rythme tout depuis le début. Le maître du momentum, comme il l’appelle :
« Le dialogue avait été demandé par l’opposition en 2011 et en 2012. Il y avait même une coalition pour le vrai dialogue. Mais il n’a pas eu lieu. Le dialogue a eu lieu quand ? Quand il l’a voulu. Il a engagé des discussions avec l’UDPS…C’est quand même un signe de maîtrise de soi».
Mais en face, il y a une opposition réfractaire au dialogue déterminée. Que va faire Joseph Kabila ?
« Si la revendication politique pour la démocratie et pour l’alternance est perçue comme un trouble à l’ordre public, l’armée et la police vont agir dans le sens de la répression »
Pour répondre à la question précédente, notons que le cas de figure que représente la situation congolaise et la stratégie « d’asphyxie » de l’opposition par Joseph Kabila rappelle exactement la situation des années 1917 décrite par le théoricien italien Antonio Gramsci, père de la théorie de l’hégémonie. Utilisée en Italie de Mussolini ou encore par Lénine en Russie, celle-ci repose sur deux piliers : le dialogue, quand un groupe contestataire est coopératif, ou la répression, si celui commence à représenter une menace contre la superstructure (l’État).
Plusieurs États autocratiques en Afrique, notamment, y ont fait recours. Les contestataires (Rassemblement, G7, Dynamique) deviennent dans cette logique des simples «structures» qui ne peuvent pas se prévaloir des revendications plus que d’autres «structures» (UNC, Opposition Républicaine). Au risque de se faire sanctionner (réprimer) par la Superstructure (l’État).
Ce qui nous amène au possible pilier numéro 3 de Joseph Kabila : l’armée. Au cas où le Rassemblement venait à activer, comme il le menace, l’article 64 de la constitution. Voici, à propos, l’analyse de notre journaliste kinois :
« Tout dépend maintenant de la lecture que l’on va faire de la menace. Si la revendication politique pour la démocratie et pour l’alternance est perçue comme un trouble à l’ordre public, l’armée et la police vont agir dans le sens de la répression ».
A l’instar des piliers politiques (Cour constitutionnelle et CENI) qui ont déclenché le processus du « glissement » plusieurs mois avant, au niveau de l’armée aussi, Joseph Kabila n’a pas perdu le temps. Loin de là. Les précisions de notre journaliste congolais :
« Ça fait déjà deux ans qu’il y a eu une mise en place et des promotions dans l’armée. On a attribué des nouvelles zones militaires. On a quand même mis des hommes qui sont favorables à l’unité de commandement ».
Il ajoute :
« Ce n’est pas seulement une affaire de la garde républicaine. Aujourd’hui, quand vous regardez le commandement militaire, quand vous regardez les hommes qu’on a promu à la police… En janvier 2015 [Ndlr manifestation contre la modification de la loi électorale] et c’était quand même une revendication essentielle. La police a réprimé, elle n’a même pas regardé que c’est notre population ».
Avec l’arrêt de la cour constitutionnelle dans la poche et le dialogue qui se dirige vers les prolongations des mandats, l’intervention évidente des forces de sécurité viendra combler ce trio stratégique de Joseph Kabila : Institutions politique (cour constitutionnelle, CENI), Dialogue, Armée.
Seule incertitude. Nul ne sait comment tout cela peut se terminer.