Par Siméon Isako
Augustin Matata Ponyo a le vendredi 14 mai dernier éclairé les sénateurs sur les faits qui lui sont reprochés dans le cadre du détournement de fonds alloués au projet agro-industriel de Bukanga-Lozo.
Au cours de la plénière consacrée à l’examen de la requête du Procureur général près la Cour constitutionnelle demandant la levée de ses immunités pour être entendu dans cette affaire, Matata s’était dit prêt à mettre à la disposition du Sénat la documentation nécessaire et les preuves matérielles pour éclairer la plénière. Son oral, avait selon plusieurs sénateurs, « balayé » les allégations contenues dans le rapport de l’IGF.
Voici l’intégralité du discours devant la plénière du Sénat le 14 mai 2021 et dont une copie est parvenue à CAS-INFO ce mardi 18 mai
RDC SENAT
RAPPORT D’ENQUÊTE DE L’IGF SUR LE PAIBL
DES INCORÉHENCES ET DES MENSONGES
Professeur Matata Ponyo Mapon
14 mai 2021
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
Il avait été demandé à notre Chambre, le Sénat, de décider de la transmission de la requête de levée de mes immunités au Congrès pour des raisons diverses que je me réserve de ne pas aborder à cette occasion, sauf une.
Le « droit » n’est pas une science exacte, certes.
Un célèbre auteur des lumières que chacun de nous connaît aussi bien que moi, à savoir Montesquieu, a longuement disserté sur la loi et sur l’esprit des lois. En effet, pour une raison ou une autre, le « droit » peut faire l’objet d’interprétations diverses qui peuvent par moment conférer à l’écrit ou à la loi un esprit quelconque. Cet esprit peut, ensuite, être utilisé pour diverses fins.
Ainsi, dans mon intervention de ce jour, je ne vais plus revenir sur la légalité ou l’illégalité de transmettre la requête de levée de mes immunités au Congrès. Le Parquet général près de la Cour constitutionnelle est déjà revenu sur sa première décision; Elle est d’accord que sa requête soit plutôt examinée par notre Chambre; ce qui était l’avis de la majorité de sénateurs. Je voudrais saisir cette occasion pour remercier tous les collègues sénateurs ici présents qui étaient d’avis que cette requête devait être examinée dans notre Chambre conformément à l’esprit de la Constitution de la république et au Règlement d’ordre intérieur qui régit le fonctionnement du Sénat.
Toutefois, avant que le dossier ne soit transmis pour examen, je me dois de livrer aux collègues sénateurs, un certain nombre des faits et de vérité devant leur permettre de se faire une idée de la cabale montée contre moi. Car aucune doctrine, aussi puissante soit-elle, ne peut modifier les faits ancrés dans l’histoire. Aucune théorie aussi pertinente soit-elle ne peut modifier la vérité des faits. Aucune communication, qu’elle soit faite par radio, par télévision ou par réseaux sociaux, ne peut altérer la vérité.
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
De ce qui précède, je vais donc soumettre à votre meilleure attention les faits qui montrent que le rapport qui doit servir de soubassement à la prise de décision est plein d’incohérences et de mensonges.
Je m’efforcerai, à cet effet, d’être très bref dans mon propos, mais aussi et surtout direct et concis.
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
Nul n’ignore qu’à la suite du rapport d’enquête et des sorties médiatiques de l’IGF sur le projet Bukanga Lonzo, mon nom et ma personne ont été évoqués de manière directe ou indirecte comme étant le principal responsable de la débâcle de Bukanga Lonzo. Les preuves matérielles de ces accusations existent et abondent les réseaux sociaux.
Pourtant, le rapport qui a abouti à cette conclusion se base sur des considérations qui s’écartent des réalités et des faits qui ne requièrent pas assez d’efforts pour s’en rendre compte.
Ces faits m’ont donc toujours poussé à me questionner sur le vrai mobile derrière ce rapport. Pour votre mémoire, c’est bien moi qui avais demandé l’enquête sur ce projet de Bukangalonzo, dans le souci du rétablissement de la vérité face aux mensonges qui étaient distillés intentionnellement contre ma personne pour des objectifs essentiellement politiques. Je savais que l’enquête sera politique et les conclusions seront politiques. Mais, il fallait que l’enquête ait lieu pour que les congolais connaissent toute la vraie vérité sur ce dossier désormais historique. Et la vraie vérité est que je n’ai jamais pris un dollar de ce projet et que je n’ai jamais imaginé prendre un dollar de ce projet. Et le rapport de l’Inspection générale des finances n’a malheureusement pas prouvé le contraire. Les enquêteurs de l’Inspection générale des Finances sont tombés dans le piège politique en remplissant leur rapport des mensonges et de contre-vérités dans le but d’incriminer celui qui n’a jamais été impliqué dans la gestion du projet et en innocentant les véritables responsables de la débâcle du parc agro-industriel de Bukangalonzo.
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
Je vais considérer juste quelques exemples parmi tant d’autres illustrant le caractère à la fois incohérent et mensonger de ce rapport.
A. D’abord des incohérences :
- Première incohérence. En tant que Premier Ministre, Chef du Gouvernement, j’avais effectivement donné une impulsion pour la mise en œuvre de ce projet. De ce fait, il arrivait que je m’y implique par moment. Cela explique notamment le fait que, en son temps, j’avais personnellement demandé au Ministre de l’Agriculture et Développement Rural, au Ministre de l’Industrie, Petites et Moyennes Entreprises; au Ministre Portefeuille, au Ministre Délégué auprès du Premier Ministre, Chargé des Finances, d’examiner la proposition du Contrat de gestion du Partenaire retenu pour assurer la gestion financière et technique de ce projet. Donc, tous les ministres signataires du Contrat étaient impliqués à de degrés divers dans la préparation de ce projet.
Cet acte d’impulsion est présenté dans les multiples points de presse de l’IGF ou de ses services comme étant la preuve que j’étais le concepteur et le planificateur du projet de Bukanga Lonzo, et donc cela le conduit à conclure que je suis l’auteur intellectuel de la débâcle de Bukanga Lonzo. Et pour appuyer cette conclusion, dans le même rapport, l’IGF affirme que la mise en œuvre du projet Bukanga Lonzo n’a jamais bénéficié d’une étude de faisabilité !
Pourtant la documentation prouve à suffisance que le projet Bukanga Lonzo a bénéficié de plusieurs études avant sa mise en œuvre. Plus important encore, ces études ne furent réalisées ni par le Premier Ministre, ni par la Primature.
Le fait de donner l’impulsion fait de moi le concepteur et le planificateur du projet, une astuce utilisée pour faire un raccordement avec un éventuel détournement qui m’aurait profité? - Deuxième incohérence. Le projet du Parc Agro-Industriel de Bukanga Lonzo était effectivement lancé en juillet 2014.
Quelques jours après, en août 2014, j’avais pris l’initiative de demander au Ministère des Finances, le ministre délégué, de préparer un appel d’offre pour qu’un cabinet d’audit externe et indépendant soit recruté pour se rassurer de la gestion du parc.
Quelques mois plus tard, en début 2015, un code de conduite et d’éthique d’affaires avait été élaboré et ce code constituait le fondement de l’engagement en matière d’intégrité, de conformité et d’éthique. Les dirigeants des sociétés créées pour la gestion du Parc Agro-Industriel de Bukanga Lonzo étaient responsables non seulement de leurs propres actes mais aussi de la promotion d’une culture de respect du code et des lois en vigueur.
Le contrat de gestion signé entre l’État congolais représenté par quatre ministres et AFRICOM, le partenaire sud-africain, stipule clairement, et ce noir sur blanc, que AFRICOM est seul Responsable Technique et Financier de la gestion du Parc Agro-Industriel de Bukanga Lonzo.
Malgré ce fait, le rapport de l’IGF affirme que le premier ministre Matata Ponyo n’avait pas mis en place des mécanismes minima pour garantir la surveillance dans l’utilisation des fonds décaissés par le Trésor public. La question que l’on peut se poser quelle est la responsabilité d’un premier ministre dans la gestion d’un projet dans lequel il n’était nullement impliqué ? - Troisième incohérence. Dans son rapport, l’IGF estime que le projet de Bukanga Lonzo a fait l’objet de surfacturation, et cette surfacturation a fait l’objet d’un complot qui nous a permis de détourner l’argent destiné au projet à des fins d’utilisation personnelle. Le partage du butin, quant à ce, se faisait en Afrique du Sud.
Face à des accusations d’une telle gravité, je m’attendais à ce que l’on fournisse des preuves de comment est-ce que l’argent est parvenu directement ou indirectement à moi.
De telles preuves sont pour autant plus faciles à collecter, dans la mesure où le secteur bancaire est l’un des secteurs les plus traçables au monde.
C’est vrai que le fait pour moi de dire : « je n’ai jamais perçu ne serait-ce 1 dollar américain directement ou indirectement des fonds que le Trésor public a versé à AFRICOM », peut facilement être remis en compte. Mais je vous affirme que je n’ai jamais perçu ne serait-ce 1 dollar des fonds décaissés pour ce projet. Et j’ai le document écrit et signé par le responsable de l’époque de l’Africom.
La question qu’on peut se poser naturellement est celle de savoir comment peut-on sur base d’un tel rapport basé sur des incohérences demander au Sénat de prendre une décision? Peut-on évoquer la problématique de justice alors que même le soubassement ou le point de départ pose déjà un problème? Si les fondements posent un sérieux problème de cohérence, qu’en sera-t-il de la suite ?
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
Nous disposons de toute la documentation officielle et toutes les preuves matérielles par rapport l’ensemble des faits que nous venons d’évoquer quant au caractère incohérent du rapport. Lesquels éléments pourraient être soumis à la sagesse du Sénat, avant toute prise de décision, si jamais cela est requis.
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
B. En dépit d’être incohérent, la matrice conceptuelle du rapport de l’IGF se fonde sur des mensonges :
- L’IGF m’accuse d’avoir détourné, tout le long du processus d’exécution du projet de parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, le fond alloué à ce projet, en complicité avec le Ministre Délégué auprès du Premier Ministre, Chargé des Finances, monsieur Patrice Kitebi. Remarquez bien le mot « tout le long du processus d’exécution du projet de parc agro-industriel de Bukanga Lonzo ».
Pour votre gouverne, le projet de Bukanga Lonzo a débuté en juillet 2014 et à fin 2014, il y avait remaniement. Dans le gouvernement Matata II, il n’y a pas eu de ministre délégué et monsieur Patrice Kitebi n’était pas membre de ce gouvernement.
Donc de 2015 à 2016, le projet du parc était réalisé sans le ministre délégué Kitebi. Sur base de quoi peut-on affirmer que le premier ministre honoraire Matata Ponyo a organisé le détournement, tout le long du processus d’exécution du projet de Parc Agro-Industriel de Bukanga Lonzo, en complicité avec le Ministre Délégué ?
Aussi, à noter que plus de 80 pour cent des paiements effectués en faveur du PAI BL ont été réalisés après fin 2014, c’est-à-dire au moment où monsieur Patrice Kitebi n’était plus Ministre-délégué.
En plus, le rapport qualifie la Primature de « centre de gestion et d’engagement de toutes les dépenses du projet » alors que les lettres d’autorisations des paiements qui émanent de la Primature, par ailleurs justifiées par l’urgence ne représentent moins de 5 pour cent du total des dépenses. - L’IGF nous a transmis une synthèse de son rapport d’enquête. La synthèse qui nous a été transmise compte au total 10 pages, alors que le rapport entier qui a servi de sources d’informations à un réseau des journalistes comprend 18 pages, hormis les annexes.
Ce qui est surprenant, certains faits qui nous sont reprochés dans le rapport entier ne sont pas contenus dans le rapport synthèse.
Souvent, en consultant la presse écrite, nous étions étonnés de lire certaines accusations qui nous étaient adressées par les journalistes mais que nous ne retrouvions pas dans le rapport synthèse qui nous a été transmis. Nous considérions donc systématiquement ces informations de fake news car nous disant que ces accusions ne sont pas contenues dans le document synthèse que l’IGF nous a transmis. Donc, l’IGF a préféré remettre le Rapport aux journalistes et non pas à la personne incriminée. Et pour votre information, il n’y a pas eu de séances de contradiction entre l’équipe de l’IGF et l’incriminé, ce qui est contraire aux règles élémentaires d’audit.
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
Au-delà de ce fait, ce qui nous a paru totalement inimaginable est que, je me suis rendu compte qu’en réalité le rapport synthèse ne contenait pas tous les griefs que l’IGF me reprochaient.
Plus grave, encore, je me suis rendu compte que les faits qui m’étaient reprochés étaient totalement faux, et véritablement mensongers.
Par exemple, dans le rapport entier qui a été transmis à un réseau des journalistes et dont une copie a fuité, l’IGF affirme que le Bureau du Premier Ministre a détourné environ 8 millions de dollars américains destinés à l’achat d’une machine « Ultimate Building Machine » (UBM en sigle). L’IGF affirme également que cette machine n’a jamais été trouvé sur le site de Bukanga Lonzo. Ce fait a été largement relayé par la presse et les réseaux sociaux.
Pourtant, il existe bel et bien une note du Ministre du ministre de l’industrie, datant du 27 mars 2019 et adressée au Premier ministre dans laquelle il est clairement écrit que la machine « Ultimate Building Machine » (UBM) a été bel et bien achetée. Dans la même note, le Ministre de l’Industrie précise qu’une mission réalisée par le ministère de l’Industrie, le lundi 23 octobre 2017, a certifié que la machine « Ultimate Building Machine » acquise auprès de MIC Industries Inc était bien conservé dans les conteneurs à Bukanga Lonzo.
Je peux énumérer autant de faits qui nourrissent la confusion et même de l’indignation. Je vous épargne de l’épisode d’une fausse copie du « rapport Ernst Young » qui a été largement diffusé dans les réseaux sociaux et qui a induit en erreur plusieurs analystes.
Je vous épargne de la question de gré-à-gré sur laquelle un groupe de journalistes s’acharnent pour justifier que le projet du Parc Agro-Industriel de Bukanga Lonzo est une conception et une planification de Matata Ponyo Mapon, en son temps premier ministre. Alors que le dossier a reçu l’accord non seulement du gouvernement, mais aussi du Président de la république.
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
Tout récemment, nous avons tous suivi, images vidéo à l’appui, que Bukanga Lonzo a repris avec la production. Y a-t-il eu une nouvelle étude de faisabilité ? Y a-t-il eu l’acquisition de nouvelles machines?
Je vous dis non. Il s’agit du même investissement entamé en 2014 mais qui malheureusement a connu une rupture de financement en 2017, après la fin de mon mandat en qualité de premier ministre. Peut-on nous dire qui a décidé de l’arrêt des paiements au profit de ce Parc agro-industriel ? Est-ce le Président de la république de l’époque ? Est-ce l’un de trois Premier ministres de l’époque ? Est-ce l’un de ministres de l’Agriculture de l’époque ? Il faut que le peuple congolais sache un jour qui est le vrai auteur de la débâcle de Bukangalonzo. Il est connu des enquêteurs de l’Inspection générale de finances; mais ces derniers ne l’ont nullement cité dans le rapport pour des raisons que vous pouvez imaginer.
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
Certes, nous faisons de la politique.
Mais il y a un minimum des valeurs à préserver si nous voulons véritablement construire un État de droit.
Si nous voulons bâtir véritablement un État, j’estime, et vous serez d’avis avec moi, qu’il nous faudra favoriser des pratiques saines, des valeurs cardinales.
Ce pays m’a tout donné.
Tout mon cursus scolaire et académique, je l’ai réalisé en RDC.
Pendant les 12 années au cours desquelles j’ai œuvré successivement comme Directeur général du BCeCo, Ministre des Finances, et Premier Ministre, j’ai toujours prôné la bonne gouvernance et l’efficacité dans la gestion de la Res Publica.
Lorsque la Justice a entamé le processus de levée de mes immunités parlementaires, j’étais à l’extérieur du pays. Beaucoup de gens m’ont conseillé et prié de ne pas rentrer au pays.
J’ai personnellement pris l’engagement de retourner pour venir défendre, avec vous, chers collègues, la vérité des faits. Et je sais que vous êtes attachés à la vérité et à la justice.
Ma conviction est que l’on ne devra pas contraindre l’institution Sénat à prendre une décision sur base d’un rapport dont la matrice conceptuelle est incohérente et mensongère. Quelle jurisprudence cela va-t-il créer?
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
Je vous ai présenté quelques éléments de la vérité. Je dispose d’une documentation suffisante et des preuves matérielles sur l’ensemble des faits évoqués dans mon propos.
Le cas échéant, je suis disposé de les mettre à la disposition du Sénat afin que chacun de nous prenne sa décision en âme et conscience.
Honorable Président du Sénat,
Honorables Membres du bureau,
Honorables Sénateurs,
Je vous remercie.