Par Japhet TEKILA, Assistant au département de droit international public à l’Université de Kinshasa
Souvent l’Histoire se venge par la musique et les Arts. Au moment où s’ouvre la 34ème session ordinaire du Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine (6 et 7 février) placée cette année sous le thème : «Arts, Culture et Patrimoine: des leviers pour construire l’Afrique que nous voulons», la présidence congolaise de l’Union africaine 2021 – 2022 démarre pendant que d’un bout à l’autre de la Terre circule un virus mortel qui nous oblige à nous écarter les uns des autres comme si nous étions dangereux les uns pour les autres. Aux yeux les plus lucides, la pandémie sans précédent du coronavirus fait apparaître que la réponse aux enjeux auxquels l’humanité dans son ensemble est confrontée ne saurait être une addition de politiques nationales. Ce serait enterrer le multilatéralisme qui témoigne partout de la permanence de la fraternité entre les humains. Compte tenu des dures réalités politiques et économiques internationales qui obligent l’Afrique à compter d’abord sur elle-même, autant dire que « L’Afrique doit s’unir ».
Le peuple africain, d’abord…
La vision d’« Une Union africaine au service des peuples» qu’entend défendre le Président Félix Tshisekedi au cours de son mandat à la présidence de l’UA présuppose essentiellement la pleine participation des peuples africains au développement du continent, le respect des principes démocratiques, la promotion de la justice sociale, le respect de la dignité humaine et la consolidation de l’unité nationale au sein de chaque État africain. Sans préjudice de sa mise en œuvre effective, cette idée grandiose constitue à la fois un pas dans la bonne direction et une entreprise de longue haleine.
Si des peuples sont exclus en amont des activités de l’État auquel ils appartiennent, comment seraient-ils associés en aval à celles de l’Union ? Si 70% des meilleures terres arables d’un État sont la propriété des étrangers, comment revendiquer la mise en œuvre effective du principe de justice sociale dans la répartition des richesses ? Par exemple, quarante ans plus tard après son indépendance, il était impensable que la question foncière qui avait été au centre de toute la lutte armée au Zimbabwe continue d’opposer les fermiers d’origine européenne aux populations paysannes. N’a-t-on pas écrit qu’en Afrique, le lien ancestral entre la terre, ou la « mère nature » et l’homme qui en est issu, qui y reste attaché, et qui doit y retourner un jour pour s’unir à ses ascendants, fonde la propriété du sol, mieux la souveraineté ? S’agissant spécialement des États où couvent des crises politiques, il y a fort à parier en raison de la complexité des situations que la tache sera immense.
La culture africaine au cœur des priorités
La note conceptuelle et la feuille de route adoptées pour la mise en œuvre du thème annuel 2021 incluent des activités dans les domaines comme la promotion des langues africaines et un volet sur la création d’un Grand Musée de l’Afrique (GMA), projet phare de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. On peut écrire, sans peur de se tromper, que le premier vecteur de l’intégration africaine, c’est la langue. La réhabilitation des langues africaines est « un important facteur d’unité » selon Alpha Omar Konaré. Sa mise en œuvre effective permettrait l’accès, au niveau du Parlement panafricain par exemple, des élus de niveaux d’instruction divers, y compris les paysans. On aurait ainsi des délégués s’exprimant dans l’hémicycle en haoussa, wolof, peul, swahili, lingala, kikongo, … Ce qui rendrait plus aisée l’expression et l’appréhension des positions communes traduisant les intérêts communs.
Le rôle moteur de la RDC
L’idée d’axer l’année 2021 autour d’une thématique culturelle s’inspire de la Charte de la renaissance culturelle africaine ratifiée par la RDC depuis 2016, qui considère la culture comme le plus sûr moyen de promouvoir une voie propre à l’Afrique vers le développement. Pour la RDC qui pâtit d’une sous-représentativité sur les listes du patrimoine mondial matériel (convention de 1972) et immatériel (convention de 2003) de l’UNESCO, cette présidence de l’Union africaine devrait lui permettre de repenser les « fondamentaux » propres à ces enjeux.
La RDC ne sera certes pas en mesure de résoudre toute seule et dans un laps de temps aussi court tous les problèmes de l’Union africaine. En revanche, sa mandature devrait impulser les réformes institutionnelles intervenues dans le fonctionnement de l’Union africaine. Elle devrait également porter très haut la voix de l’Afrique en vue d’exploiter pleinement l’opportunité des initiatives de la « Plateforme africaine de fournitures médicales » et de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Sans aucun doute, le Congo «dispose de tous les atouts tant naturels qu’humains devant lui permettre de devenir un moteur pour le développement durable [de] tout le continent africain », autant d’atouts permettant au pays de jouer un « rôle majeur dans le monde » et d’être la gâchette de l’Afrique, selon l’expression de Frantz Fanon.