Par Christian Bosembe, Chercheur en Droit constitutionnel et chroniqueur politique
Dépuis deux ans, l’histoire politique du Congo-Kinshasa a connu un tournant décisif. Après 18 ans de règne chaotique, la dynastie Kabila a perdu le pouvoir. Aujourd’hui, le pays est dirigé par Félix Tshisekedi, un ancien opposant qui a fourbi ses armes dans un parti historique. Un parti qui a combattu les trois grandes dictatures post-indépendance. De Mobutu en passant par les deux Kabila (père et fils).
Tshisekedi et Kabila se sont échangés de rôle. Le nouveau chef de l’État a passé le relais à Kabila fils, le nouvel opposant. L’ancien président intègre ainsi l’opposition par la grande porte. Mais le nouvel opposant va-t-il réussir son pari ? Ses hommes sont-ils en mesure de défier le pouvoir de Félix Tshisekedi?
Nous mettons à la disposition de l’opposant Joseph Kabila et sa caste d’anciens oligarques un manuel pour leur permettre de réfléchir, d’anticiper et d’organiser les troupes en vue de jouer efficacement le rôle de l’opposition.
Mais avant tout, il faudrait souligner que le plus grand regret de Joseph Kabila au stade actuel est d’avoir détruit totalement la « maison opposition » ne sachant pas que demain, il allait y habiter. Le voilà aujourd’hui dans une maison sans lit, sans salon, sans toiture, bref, une maison vandalisée.
Ensuite, à peine arrivé, doit-il se prévaloir d’être le porte-parole ou chef de file de l’opposition ? Difficile de le dire. La réalité est que l’opposition n’a jamais été organisée et ne s’est jamais désignée de porte-parole comme la loi l’exigeait pourtant. La faute toujours au même Kabila.
Pendant son règne, il n’a fait que piétiner la loi pour empêcher à l’opposition de se choisir un porte-parole. Un adage africain dit : « Ne brûles pas toutes les cases. Le jour de la pluie, tu manqueras où t’abriter ». Les faits rattrapent aujourd’hui le sénateur à vie.
Et maintenant doit-il se disputer le leadership parlementaire et populaire de l’opposition avec le duo Fayulu-Muzito ? Comment va-t-il s’y prendre dans un environnement qu’il a pollué sciemment?
N’oublions pas que c’est Kabila qui a muselé l’opposition, lui a arraché la parole et l’a totalement réduite à néant. Des exemples sont légion. De tout temps, Joseph Kabila s’est illustré par la traque incessante des opposants, les contraignant de vivre en clandestinité ou les poussant en exil forcé, sans oublier les multiples arrestations arbitraires… . Le supplice qu’aucune république ne peut accepter.
Que devient Joseph Kabila Kabange?
Dynamité de l’intérieur, le pouvoir Kabila s’est effondré sous ses yeux. Les causes ne sont pas métaphysiques ( Les raisons de la prochaine tribune ). Toutes les analyses certifient que Joseph Kabila est déjà dans l’opposition mais avec qui ? Est-ce que tous ses hommes de poigne vont-ils l’accompagner ?
La ruée vers l’union sacrée nous interdit de nous avancer sur cette hypothèse. Mais qui vont rester avec lui ?
Seuls les hommes et femmes qui ont perdu tout crédit chez Fatshi. Des durs à cuire, des extrémistes plongés longtemps dans la mafia et le pillage des ressources naturelles du pays qui savent que le président Félix Tshisekedi ne les prendra jamais dans son gouvernement. Ils préfèrent ainsi couler dans l’eau avec Kabila comme quand le Titanic chavirait avec de nombreux milliardaires, après avoir percuté un iceberg.
Donc, cette opposition s’annonce difficile pour l’ancien président Joseph Kabila. Voici les trois principales étapes que doit retenir JKK et son équipe :
Un apprentissage douloureux
La vie nous apprend des leçons mais si on ne les retient pas, on fonce tout droit vers le mur. Dans une République démocratique, l’opposition n’est pas une renonciation à la vie, ni un champ de tir moins encore une retraite politique mais plutôt un canal d’apprentissage du jeu démocratique. Elle permet aux acteurs politiques de comprendre les desiderata de la population et d’en faire des programmes politiques.
Malheureusement plus de 60 ans après l’indépendance, nous ne nous sommes pas construits un idéal commun et un système politique adéquat.
A la place, nous avons eu des gouvernements spécialisés dans la gabegie, la mauvaise gouvernance, la délation, bref la consécration de la jouissance. Entre-temps, les différents pouvoirs en place ne véhiculaient que l’image d’une opposition des mécontents, de non servis, des frustrés et plaintifs.
Les leçons à apprendre aux nouveaux opposants
Un opposant doit connaître son peuple
Un opposant vit dans la population. Il connaît ses problèmes et ses difficultés, donc son vécu quotidien. Est-ce que les Kabilistes le savent ? Pas évident. Ils ont été totalement coupés des réalités de la basse classe.
Il est aussi clair qu’il n’y a pas de liens entre l’opulence et la pauvreté. Et de ce point de vue, les nouveaux opposants tiendront-ils ?. Eux qui n’ont jamais scolarisé leurs enfants dans les écoles de misère, eux qui n’ont jamais fréquenté les hôpitaux des citoyens lambda… .Par contre, ils ont clochardisé, appauvri, opprimé, abandonné, abruti, martyrisé le peuple au nom duquel ils doivent prétendre parler aujourd’hui. Cette équation semble difficile. Voilà pourquoi le nouvel opposant Joseph Kabila sera dans le dur.
Et pire que tout, la masse laborieuse a été sacrifiée. Comment Kabila et ses hommes vont s’adresser aux Congolais qu’ils ont rendus esclaves dans leur propre pays. Ils ont zappé les hommes d’affaires congolais préférant donner des marchés juteux aux expatriés faisant du Congo l’enfer des Congolais et le paradis pour les étrangers. Sinon comment comprendre que dans tous les domaines, tous les secteurs porteurs de croissance, beaucoup de Congolais sont absents. Regardez bien. Qu’il s’agissent des mines, ressources forestières, circuits bancaires, industries agricoles jusqu’à la chaîne de restauration en passant par les boulangeries, on ne retrouve presqu’aucun Congolais. Les seuls qui soient présents et à compter, d’ailleurs, du bout des doigts, sont des kabilistes eux-mêmes ou leurs prête-noms.
Un opposant doit avoir des passerelles à la société civile
Un opposant doit œuvrer en complicité avec la société civile. Encore là, une question ? De quelle société civile sur qui Kabila doit compter ? Celle qui a été humiliée, divisée, achetée, dédoublée, réduite aux sections des partis politiques, réprimée dans le sang… . Les plus radicaux ont été jetés en prison, les autres tués ( Floribert Chebeya et Fidèle Bazana ).
Si l’église doit faire partie de la société civile, les nouveaux opposants auront alors du mal à s’exprimer. Comment vont-ils fréquenter les paroisses ou lieux des cultes qu’ils ont profanés ?
Auront-ils la conscience tranquille quand on leur parlera de Rossy Tshimanga, de Thérèse Kapangala, de Eric Boloko de Mbandaka et d’autres milliers de martyrs de la démocratie dont le sang continue à crier vengeance ?
Sauront-ils participer au culte après avoir plusieurs fois déchiré les soutanes des prêtres, parfumé des gaz les lieux des cultes, poussant en exil les hommes de Dieu ( cas du pasteur Ekofo). Et que dire de ce témoignage d’un éminent pasteur qui avoue que les hommes de Dieu recevaient de l’argent pour endormir le peuple pour qu’il ne se soulève pas.
Un opposant doit connaître le monde intellectuel
L’université est le creuset de l’intelligence. L’opposant doit côtoyer les milieux savants pour améliorer la perception de son combat, mais écouter aussi les étudiants et professeurs pour porter leurs problèmes. Pour l’opposant Kabila, il faudra une gymnastique pour convaincre le monde scientifique et académique.
Peut-il regarder avec audace les enseignants des universités, des instituts supérieurs et écoles qu’il a clochardisés plus d’une décennie, consacrant presque un génocide intellectuel. Si le nombre de diplômés s’est accru mais le niveau des apprenants est trop bas.
Pendant le règne de Kabila, les étudiants étaient assimilés aux badauds que l’on réprimait à souhait. ( Nous n’oublions pas les cas de Rodrigue et Hyacinthe, étudiants de L2 Math-info à l’Université de Kinshasa abattus pour avoir revendiqué simplement la réduction des frais académiques).
Un opposant doit savoir jouer avec la classe politique
Il est normal que tout bon politique doit connaître la classe politique. Il doit savoir composer. Mais malheureusement, Joseph Kabila ne peut pas compter sur cette classe politique qui ne comprend que le langage du présent, de l’argent, du lucre, du pouvoir et de la jouissance. Bref, les politiques congolais n’ont aucune idéologie. Ils sont sans référentiel, sans vertu. Le seul mode de vie qui les va, c’est la transhumance politique. Or, le débauchage, c’était la seule marque de fabrique du pouvoir Kabila. Dépouillé de tout pouvoir aujourd’hui, Kabila, l’ancien faiseur des rois, sans capacité de convaincre, risque de s’entourer des Ujana politiques qui ne seront là que pour lui piquer quotidiennement les billets verts. Les vieux loups écartés du jeu après la débâcle, resteront des aigris, les autres ayant déjà traversé.
Dans cette nouvelle configuration, Kabila ne saura pas tenir face à la machine Tshisekedi.
Un opposant doit-être le porte-voix des aspirations de la jeunesse
On ne fait pas l’opposition sans la jeunesse. Mais quelle jeunesse? Pas celle qui a été abandonnée 18 ans durant. Kabila n’a utilisé la jeunesse que pour la conquête du pouvoir mais l’écartant chaque fois lors de son exercice. Une jeunesse qu’il voulait qu’elle lèche ses assiettes comme l’a si bien dit son épouse. Il a gâché la vie des jeunes. 18 ans de cruauté et d’enfer pour une jeunesse sans espoir d’un lendemain meilleur.
Avec le régime Kabila, les jeunes n’ont été que séquestrés, exploités, utilisés abusivement lors des marches pour rendre des comptes aux adversaires politiques. Rappelons que la génération Kabila a 18 ans aujourd’hui. La plupart n’ont pas étudié. C’est le fruit de l’inanition du système éducatif. Ceux qui avaient 5 ans à l’arrivée de Kabila, aujourd’hui, ils ont 23 ans, et ceux qui avaient 10 ans, totalisent 28 ans d’âge. Sacrifiés, les jeunes congolais se livrent, pour besoin de survie, facilement au terrorisme urbain, intègrent les groupes armés, pour ainsi dire qu’ils se vendent à vil prix pour défendre le mal. L’héritage Kabila est désastreux.
II . Le billet de l’opposant
Dans cette tribune, nous avons jugé utile de donner à Joseph Kabila et ses hommes des techniques qui vont leur permettre de bien jouer le rôle d’opposant.
L’opposant doit savoir identifier son fief. Son quartier général ne doit pas être un milieu des nantis. Les marches de l’opposition sont organisées toujours dans des communes populaires. Pas des quartiers chics où les gens n’ont pas faim ou ils ont moins d’intérêt d’adhérer à la lutte.
Les opposants doivent organiser régulièrement des marches et manifestations politiques.
L’opposant Kabila doit savoir hausser le ton dans une déclaration politique. Quand il lira le « NOUS », opposition politique…, son langage doit être fermé et imposant. Il doit être debout et ses militants doivent sentir la vibration. Pas comme le professeur Mwilanya qui est mou et parle comme s’il faisait l’homélie.
L’opposant doit apprendre à dire NON même pour un rien.
Il doit toujours avoir à ses côtés deux militants vigilants pour surveiller le mouvement de la police et au moindre signal, être prêt à détaler.
Lors des émeutes, échauffourées, marches violentes, un opposant évite de raser les caniveaux sinon s’il tombe, il risque de se blesser mortellement. Il faut prendre courage, braver la peur et marcher au milieu de la chaussée pour entraîner la foule.
Lors des marches, il ne faut pas fixer de regard le policier. Ne lui parlez pas non plus en français. Pendant les heurts, n’évoquez jamais le respect de la Constitution, les lois de la République et le respect des droits de l’homme. Ce discours là ne passe pas, aux yeux d’un policier, qui a reçu l’ordre de son chef de disperser une manifestation non autorisée.
Devant un policier, on évite la confrontation. On se soustrait, mieux on fuit.
Un opposant doit connaître les raccourcis, les sentiers, les avenues, bref il doit bien maîtriser la géographie.
Un opposant doit être en bons termes avec les enfants de la rue, les réparateurs des pneus » communément appelés Quados ». Leurs maisonnettes de service peuvent vous servir d’abri quand la police vous pourchasse.
Un opposant ne marche pas avec les smartphones ou en lunettes dorées avec des sacs tendance comme c’était le cas de Kalev lors de la marche du FCC.
Un opposant doit avoir plusieurs logis. Il ne passe pas nuit à un même endroit quand il prépare une grande action.
Un opposant doit savoir alerter le monde. A la moindre bastonnade, il faut saisir vite la communauté internationale. Malheureusement, la même communauté internationale que le clan Kabila a traitée d’impérialiste. Mais avec la nouvelle casquette d’opposant, il faudra la supplier pour qu’elle vous vienne en aide chaque fois que vous serez en difficulté.
Un opposant maitrise les réseaux internationaux.
Il travaille avec les Ong comme ACAJ, ASADHO, LA VOIX DES SANS VOIX ( capables d’alerter en moins de temps l’opinion nationale et internationale pour dénoncer les différentes dérives ) mais aussi les mouvements citoyens ( LUCHA, FILIMBI, ECHA, CONGOLAIS DEBOUT…) pour vous prêter mains fortes si vos actions vont dans le sens de la défense des intérêts de la population.
Un opposant doit avoir un langage doux vis-à-vis de la population.
Il doit promettre monts et merveilles à la population.
Un opposant doit savoir se victimiser à tout moment.
Ne jamais reprocher au peuple même quand il a tort.
Un opposant doit être ami des journalistes qui l’aideront à relayer rapidement son message de détresse ou ses prises de position.
Il doit être psychologiquement prêt à faire la prison. Il est armé moralement pour aller à Makala.
Il doit être poli envers les OPJ, au besoin se familiariser avec eux quand il est « mappé ».
Un opposant kabiliste doit envoyer ses enfants en Europe comme la plupart l’ont déjà fait pour éviter de les torturer moralement dans la nouvelle vie d’opposant. Les enfants qui ont été habitués au miel et surtout à vivre comme des poissons dans l’eau.
B. LE KARMA
Ne dit-on pas que tout se paye ici-bas. Si les opposants qui ne faisaient que défendre leur idéal sans jamais gérer, ont été arrêtés, torturés et envoyés en prison pour des faits qui n’existaient ni en droit, moins encore en sociologie mais par le simple saut d’humeurs des anciens geôliers des services, que dire alors de ces nouveaux opposants venus fraîchement de la mangeoire ?, que dire de ces opposants auteurs des crimes de sang ( Rapport Mapping de l’ONU), des crimes économiques ( Détournements de deniers publics, passation opaques des marchés- dossier Go-pass, passeports….). Et si on les faisait subir la même cruauté, que diront-ils : karma, règlement des comptes ou Etat de droit ).
C. L’ARRÊT DE MORT
Eu égard à ce qui précède, les nouveaux opposants n’ont que deux issues :
Se battre véritablement pour la défense des intérêts de la population avec comme préalable la vraie repentance et des aveux pour toutes les fautes commises.
S’assurer une bonne retraite politique anticipée pour éviter des représailles au cas où ils oseraient pousser trop loin les bouchons.
L’avantage de la nouvelle opposition kabiliste, c’est d’avoir à la tête du pays, un président Félix Tshisekedi démocrate, pacifiste, tolérant qui ne verse pas dans les règlements de comptes politiques mais qui veille scrupuleusement au respect des textes et à l’établissement d’un véritable État de droit qui n’épargne et n’épargnera personne.
Christian Bosembe, Chercheur en Droit constitutionnel et chroniqueur politique