Shadary, Katumbi

Propos recueillis par Yvon Muya

Stratégie ou dérapage délibéré ? La sortie choc du Secrétaire permanent du PPRD sur l’opposant Moïse Katumbi a suscité vendredi une vague de réactions et d’indignation. Interrogé sur Rfi sur l’application des mesures de décrispation politique qui permettraient à l’ancien gouverneur du Katanga de se présenter à la prochaine présidentielle, lui qui est aujourd’hui poursuivi dans un nouveau dossier de faux et usage de faux lié à « sa » nationalité italienne supposée, Emmanuel Shadary a répondu, sans utiliser le conditionnel, que l’opposant, en exil, « sera condamné ». Comment comprendre cette déclaration qui fait couler tant d’encre et de salive en RDC ? Calcul politique ou dérapage voulu ? Avocat congolais et défenseur de droits de l’homme, Maitre Hervé Diakiese décrypte pour CAS-INFO cette nième joute entre le pouvoir et le candidat d’Ensemble à la présidentielle. Interview.

Emmanuel Shadary a declaré sans ambages que Moïse Katumbi sera condamné. S’agit-il d’un dérapage ?
Me Hervé Diakiese : Absolument. Il s’agit d’un grave dérapage. Pour une haute personnalité de son rang, président du Groupe parlementaire du parti présidentiel à l’Assemblée nationale, ministre de l’intérieur et aujourd’hui Secrétaire permanent du PPRD, il faut prendre au sérieux ce genre de déclarations. Ce sont des propos susceptibles d’influencer le cours de la justice. En proclamant sur une grande radio internationale qu’un justiciable était d’office condamné, Emmanuel Shadary porte atteinte à la présomption d’innocence qui est pourtant garantie par la constitution et les lois congolaises.

Emmanuel Shadary est un fin politicien connu pour les formules choc. Il pourra toujours rétorquer qu’on est dans un débat politique…
Un débat politique. Je ne vois pas les choses de cette façon, en droit. Je me répète, au regard de son rang et poids politique au sein du pouvoir, cette déclaration est une sorte de mise en garde. Une sorte d’injonction implicite à la justice appelée clairement à se conformer à la volonté du pouvoir. Celle-ci semble consister à éliminer un candidat de la course présidentielle. Il est clair qu’on a assisté à une instruction publique faite à la justice de se ranger derrière la volonté de ceux qui dirigent.

Il y a eu des révélations accablantes récemment dans le magazine Jeune Afrique. Moïse Katumbi ne les a jamais contestées…
Il ya le temps médiatique et il ya le temps du pouvoir. Tout comme il y a le temps du droit. Pour le moment on est dans le procès d’intention et dans l’agitation. Il faut attendre le moment de dépôt des candidatures. En ce moment-là on saura ce qu’il y a dans ce dossier de nationalité. À ce jour la question ne se pose pas. Pour moi la question ne se pose pas.

On parle quand même d’un candidat président de la république qui a plus de chance de remporter la présidentielle. N’est-il pas logique de s’interroger sur lui ?
On peut bien s’interroger sur n’importe qui. Mais en l’état, aucun élément ne permet de juger monsieur Katumbi sur les faits lui reprochés.

En déclarant Katumbi bientôt condamné, Emmanuel Shadary a-t-il commis une erreur qui pourrait conduire à l’annulation de toutes les procédures encours contre Katumb ?
Le régime actuel ne respecte ni le droit ni la loi. Dernier exemple en date, la décision de la Cour suprême de justice réhabilitant le gouverneur de Tanganyika parce que celui-ci avait gagné les élections. Cet arrêt n’a jamais été appliqué. Il ne faut pas attendre que le droit soit dit à la suite de la sortie controversée de monsieur Shadary. En revanche j’aimerai réfléchir autour de l’hypothèse selon laquelle la question de la double nationalité se posait. Le principe du droit international est clair en matière de nationalité. Aucun pays n’a, selon ce principe, le droit de priver à un individu une nationalité si celui-ci en a perdu une autre. En droit international il est interdit de créer des apatrides.

Emmanuel Shadary a rappelé qu’il est question pour Moïse Katumbi d’entreprendre les démarches pour recouvrer sa nationalité congolaise.
Pour faire les démarches, il faut qu’il y ait un problème. Pour l’instant, on est dans un non problème. N’ayant pas accès au dossier Katumbi [je ne sais même pas si un dossier existe], il est difficile de savoir s’il a entrepris ou doit entreprendre des démarches pour recouvrer sa nationalité perdue. À mon avis, cette question se posera le jour du dépôt de la candidature. Si la CENI accepte ou rejette un dossier pour cause de double nationalité, c’est alors qu’on saura de quoi est fait ce dossier. Les parties concernées sauront alors saisir les instances compétentes. Pour le moment, il n’y a pas d’affaires.

Malgré tout, l’instruction est déjà lancée à la Cour suprême de justice. Sachant que les décisions de cette Cour sont irrévocables, peut-on dire que Moïse Katumbi est cuit ?
C’est loin d’être le cas. Il faut au préalable être un justiciable de la Cour suprême de justice pour y être jugé. Ne peut être justiciable de cette Cour que celui qui, au moment des faits qui lui sont reprochés, jouissait d’une qualité susceptible de faire de lui un justiciable de la Cour suprême de Justice. On n’est pas dans cette configuration. Moïse Katumbi est loin d’être cuit.