Par Honorine Matondo, Professeur des Universités
La particularité du contrat sino-congolais, au regard de son contenu est d’engager, d’un côté, la République Démocratique du Congo au travers du ministère des Itpr et, de l’autre, le Groupement des Entreprises Chinoises (GEC). La Convention conclue le 22 avril 2008 est signée pour la RDC par M. Pierre Lumbi en qualité de ministre des Infrastructures, Travaux publics et Reconstruction, et pour la partie chinoise par MM. Li ChangJin pour China Railway Group Limited et Fan JiXiang pour Sinohydro Corporation. Deux géants mondiaux en termes d’investissements. Cette particularité est assez suffisante pour saisir la dimension politique et diplomatique de la question SICOMINES. Pour ne l’avoir fait, l’Igf-chef de service Jules Alingete a créé une situation qui ne lui est pas favorable, en dépit des soutiens qu’il peut espérer avoir en interne et en externe. En interne, il ne lui revenait pas d’engager la personne du Chef de l’Etat dans son interview à Top Congo fm le 20 février 2023, encore moins d’enjoindre Moïse Ekanga, responsable n°1 du Bureau de coordination et de suivi du programme sino-congolais (devenu Agence de pilotage, de coordination et de suivi des conventions de collaboration entre la RDC et ses Partenaires privés), à ne défendre que les intérêts de la République dans son intervention annoncée sur la même chaîne. En externe, il n’avait pas à répondre, avec le ton utilisé, au communiqué de l’ambassade de la Chine, question d’éviter tout incident diplomatique…
Et pour cause ! Personne n’est dupe au sujet du bras de fer auquel se livrent les États-Unis (pour le compte de l’Occident) et la Chine autour des ressources minières congolaises, celles du sous-sol du Katanga pour être précis.
Certes, le contrat sino-congolais porte sur le cuivre et le cobalt. Mais tout le monde sent que le bras de fer entre Washington et Pékin se corse plutôt autour du lithium. On en veut pour preuve la manière on ne peut plus cavalière avec laquelle les Américains se sont imposés aux côtés des Congolais et des Zambiens, lors du dernier sommet Usa/Afrique, dans la fabrication des batteries électriques.
Au moment où il est de notoriété publique que la présence de Pékin dans l’exploitation des minerais stratégiques, dans l’aménagement des infrastructures de base, dans les BTP et dans les services (banques, assurances, Pntic…) prend de plus en plus du poids en territoire congolais mis en jachères par les Occidentaux, développer ou laisser se développer une sorte de chinophobie n’est pas productif.
Aussi, dans ses prestations, Jules Alingete a-t-il intérêt à voir et à analyser tous les contours de l’enjeu représenté par le contrat sino-congolais.
On sait, par exemple, que la Chine prépare depuis 2019 la rencontre du Président Félix Tshisekedi avec son homologue Xi Jinping. La partie chinoise reconnaît que la pandémie du Covid-19 a été pour beaucoup dans le retard enregistré à cet effet. De toutes les façons, les Chefs de l’Etat ont eu un entretien téléphonique qualifié de positif, à l’occasion du Cinquantenaire de la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays.
Qui alors, au Congo ou au monde, a intérêt à perturber, à empêcher cette rencontre d’avoir lieu ? On ne dira pas dire que ce sont des Chinois. Au contraire.
Si sabotage il y a, cela ne peut être que l’œuvre des Congolais redevables aux Américains et aux Européens pour des raisons qu’ils connaissent.
Pour peu qu’il ait fait preuve de sagesse – la sensibilité de sa fonction l’y oblige – Jules Alingete ne pouvait pas afficher sa suffisance, à la limite du mépris, à l’égard de la Sicomines. Il aurait pu solliciter un rapprochement avec le ministère congolais des Affaires étrangères ainsi que les ambassades de la Chine en RDC et de la RDC en Chine avec pour finalité d’envisager, tant que faire se peut, la mise sur pied d’une commission pour une solution à l’amiable préconisée, au demeurant, dans la convention sino-congolaise en cas de survenance de tout différend. A l’article 20.1., il est dit « Tout différend relatif à l’interprétation et à l’exécution de la présente Convention de Collaboration doit être réglé en priorité par des discussions amiables entre les Parties », tandis que dans l’article 20.2, la Convention déclare : « Tout différend n’ayant pas été réglé dans les six mois qui suivent ces discussions amiables sera, à la demande de l’une des Parties, soumis à l’arbitrage de CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatif aux investissements) selon ses règles. La langue de l’arbitrage sera la langue française et la langue chinoise. En cas de conflit entre les deux langues, la langue française prévaudra».
Après tout, en étant un service rattaché directement au Chef de l’Etat, l’Igf a aussi mission de conseil auprès de ce dernier. Car, protéger le Président de la République en ne l’impliquant pas dans toute action dérangeante, c’est aussi de sa responsabilité.
Or, là, Jules Alingete a fauté.
On ne sait toujours jamais
On imagine alors la perspective de l’arrêt brusque de la coopération sino-congolaise dans tous les domaines, et cela par solidarité avec Sicomines, présentée de façon erronée par l’IGF comme une société chinoise pendant qu’elle est chinoise et congolaise.
Peut-on un seul instant penser qu’en cette période, les occidentaux prendront facilement la relève ? Pas du tout. Sur le boulevard du 30 juin, il existe un symbole de la » kinoiserie » : l’hôtel qui devrait être aménagé en prévision de la conférence France-Afrique en 1990 sabotée par les puissances occidentales avec le soutien des Zaïrois. Le boycott réclamé à l’époque a eu comme conséquence l’immeuble inachevé planté aux côtés du building ex-Onatra, en diagonale de l’ex-Sozacom. 43 ans après, aucun américain, aucun européen ne le reprend pour le ramener à sa vocation première.
Terrible serait la catastrophe si la Chine venait à lâcher tout parce que Jules Alingete a oublié que la langue, petit organe soit-il dans le corps humain, a la faculté d’allumer un gros feu inextinguible…
Heureusement que dans leur prestation du lundi 21 février 2023, le ministre des Finances Nicolas Kazadi et de la Communication Patrick Muyaya, tout en soutenant la Cause congolaise, ont rejeté tout discours d’indexer Pékin.
Une façon polie de préserver les relations congolo-chinoises tant il est vrai que dans la vie, on ne sait toujours jamais.
Ce n’est pas une digression, mais la situation sécuritaire à l’Est est en train d’interpeller les Congolais. Un vrai ami ne peut pas empêcher son ami agressé de se défendre…