RDC, réforme judiciaire

Par Yvon Muya

Les trois propositions de réforme judiciaire continuent à envenimer le climat politique en RDC. La volonté du FCC de soumettre les magistrats sous l’injonction du ministre de la justice passe mal. Tout comme les sanctions que prévoient ces textes à l’encore des membres du parquet en cas de manquement à ladite injoction. Des manifestants opposés à la réforme ont envahi mercredi le Palais du Peuple et attaqué les domiciles de certains élus FCC. Renforçant un peu plus le malaise au sein de la coalition au pouvoir. Mais que reproche-t-on, vraiment, à ces propositions de lois ? CAS-INFO a approché Patrick Kamanda, magistrat et délégué syndical du Syndicat Autonome des Magistrats au Congo. Interview.

CAS-INFO: Le FCC, par le biais de ses députés Aubin Minaku et Sakata, défend, à l’Assemblée nationale trois propositions de réforme de l’appareil judiciaire. La quasi majorité de magistrats s’y oppose. Que reprochez-vous à ces textes ?

Patrick Kamanda: Les trois propositions de loi sous examen à l’Assemblée nationale violent manifestement la constitution notamment les articles 82, 149, 151, 152 et 220. Car ils visent en réalité à placer tous les magistrats congolais sous le joug du ministre de la justice en prétextant que seuls les Officiers du Ministère Public ou magistrats du parquet seront sous l’autorité dudit ministre. La réaction est que telle qu’envisagée cette réforme risque de porter un coup dur à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Deuxièmement, elle dépouille le président de la république de certaines de ses prérogatives constitutionnelles, en ce qu’elle donne au ministre de la justice le pouvoir de nommer, de promouvoir et de relever un magistrat de ses fonctions, et tendent à faire du ministre de la justice l’interface entre l’Exécutif et le Judiciaire alors que la constitution ne le prévoit nulle part.

Par ailleurs, la constitution reconnaît au seul Conseil Supérieur de la Magistrature le pouvoir d’élaborer le budget du pouvoir judiciaire, les textes en cause, reconnaissent au ministre de la justice ce pouvoir tant devant la conférence des procureurs qu’au niveau du Conseil Supérieur de la Magistrature. Le même ministre doit donner son accord audit Conseil pour la nomination, la promotion ou la révocation d’un magistrat. La Conférence des procureurs est donc une nouvelle structure, au fonctionnement flou, et qui concurrencera le Conseil supérieur de la Magistrature. Cela constituerait des violations graves des dispositions de la constitution. Sans la modification constitutionnelle préalable, ces propositions de loi tendent à usurper les prérogatives du président de la république et du Conseil Supérieur de la Magistrature pour les confier par une loi organique à un ministre, membre d’un gouvernement, pour que ce dernier puisse diriger des hauts magistrats chefs de corps.


Cérémonie officielle après de nouvelles mises en place au sein de la magistrature le 7 février 2020

Enfin, les lois Minaku-Sakata veulent créer un autre organe de gestion des magistrats (dit Conférence des procureurs) alors que le Conseil Supérieur de la Magistrature a été institué à cette fin, comme l’indiquent les articles 149 et 152 de la constitution. Il est regrettable de noter qu’avec l’éveil de l’Etat de droit en cours et les récentes actions judiciaires qui font redorer le blason de la justice congolaise longtemps ternie, ces propositions n’aient pour but que de permettre au ministre de la justice de contrôler totalement la justice et de la rendre manipulable.

CAS-INFO: Parmi les innovations les plus critiquées, il y a le placement des Officiers du Ministère Public sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques. Mais surtout sous le contrôle du ministre de la Justice. Pourquoi cela pose problème ?

Il n’est pas correct de voir la régression et le recul être qualifiés d’innovations. Le fait de placer les Officiers du Ministère Public sous l’autorité de leurs chefs hiérarchiques est normal. Mais, ce sont par contre les pouvoirs exorbitants accordés dans ces textes au ministre de la justice qui violent l’esprit et la lettre de la constitution et fragilisent le pouvoir judiciaire. Il convient de noter malheureusement que le ministre de la justice dont le rang protocolaire est inférieur à celui des Procureurs généraux près les cours constitutionnelles, de Cassation et le Conseil d’État, va se permettre de gérer les hauts magistrats de carrière et chef de corps.

Magistrats, armes
Des avocats devant le Palais de la Justice de Kinshasa.

Aussi, le pouvoir d’injonction du ministre s’y trouve travesti, au point de lui confier la plénitude de l’action publique avec comme conséquence que, sur son injonction, n’importe quel magistrat du parquet instructeur d’un dossier judiciaire sera obligé sous réserve de sanction disciplinaire de lui faire rapport écrit sur tout dossier. Cette pratique violerait le secret de l’instruction et constituerait une entorse à l’indépendance du pouvoir judiciaire dont font partie les magistrats du parquet en dépit de la malheureuse et précipitée révision constitutionnelle du 20 janvier 2011. Celle-ci n’ayant pas exclu les magistrats du parquet de la gestion du Conseil Supérieur de la Magistrature, elle les a maintenus au sein du pouvoir judiciaire, lequel est indépendant des pouvoirs exécutif et législatif. Il faudra donc noter qu’une fois ces textes promulgués, le ministre de la justice pourra prendre des mesures conservatoires au cours des enquêtes, comme décider du sort à réserver à un dossier judiciaire, alors que cette charge revient jusque-là au magistrat instructeur.

CAS-INFO: Et si ces réformes passaient, le ministre se verrait nantis de plus de pouvoirs y compris celui d’injonction sur les magistrats. Quelles en seront les conséquences ?

Le droit d’injonction, le ministre de la justice l’a même en l’état actuel de la législation congolaise. Et c’est en l’exerçant qu’il avait pu pousser les parquets généraux de Kinshasa à ouvrir des enquêtes dans le fameux dossier du « programme de 100 jours ». Mais, On a l’impression que les gens confondent le pouvoir d’injonction du ministre de la justice qui est limité à la saisine et ouverture des enquêtes judiciaires (donc une dénonciation faite par lui pour qu’une action judiciaire soit ouverte), et la plénitude de l’action publique réservée aux seuls Procureurs Généraux près les Cours d’Appel aux fins d’assurer la supervision de toutes instructions répressives. Un ministre de la justice ne peut donc prendre des mesures conservatoires et obliger un magistrat à lui adresser un rapport de fin d’instruction en violation du principe de séparation des pouvoirs consacré par les articles 149 alinéa 1er et 151 de la Constitution. N’étant pas un organe du pouvoir judiciaire, ni membre du Conseil Supérieur de la Magistrature, le ministre de la justice ne peut constater une faute disciplinaire. Mais, peut plutôt la faire constater sur un magistrat et saisir la chambre de discipline.


Des avocats manifestants devant le Palais de Justice de Bukavu.

Vous savez, cher frère Yvon [Muya], il est malheureux ces derniers temps de constater que des gens qui n’ont ni étudié ni pratiqué le droit (tel un médecin qui fait beaucoup de bruit dans les médias ces jours) appuient ces lois qui, selon les avis éclairés de plusieurs spécialistes et praticiens vont asservir davantage notre justice. Car, les magistrats du parquet en République Démocratique du Congo ayant une double casquette de juge d’instruction comme en France, et aussi d’Officier du Ministère Public chargé d’appliquer ou de mettre en œuvre la politique publique en matière répressive. Et que pris en tant que juges d’instruction, ils ne doivent pas être soustraits du pouvoir judiciaire dont ils font allègrement partie, et donc sont indépendants vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif. Le ministre sera dès l’avènement de ces lois, nantis du pouvoir de constater la faute disciplinaire et d’obtenir de la chambre de discipline du Conseil Supérieur de la Magistrature l’interdiction de tout magistrat, que celui-ci soit du siège ou du parquet. En gros, tout magistrat contrevenant aux injonctions du ministre sera exposé à une action disciplinaire.

La magistrature étant un corps d’élite, la discipline doit y être de rigueur. Donc, les sanctions disciplinaires et pénales sont normales et importantes pour la préservation de la paix et la tranquillité sociales, et parer à tous comportements indignes et infractionnels. Cependant, il faut signaler que lesdites sanctions doivent être administrées à l’issue d’une procédure objectivement conduite et impartiale.

CAS-INFO: Bref, en pleine renaissance de la justice congolaise, pour vous cette réforme pourrait avoir un effet démobilisateur.

Bien sûr que ces lois auront non seulement un effet plus que démobilisateur pour les magistrats, mais insécuriseront davantage les justiciables. Le risque est que les politiques, les riches et les puissants pourraient en profiter pour appliquer leur justice en tenant en état les magistrats de carrière rendus fourbes et manipulables par le ministre de la justice, détenteur des pouvoirs inégalables. C’est quelque chose que les magistrats ne sont pas prêts à cautionner.