Par CAS-INFO
Une coalition de mouvements citoyens et d’ONG a exhorté le Premier ministre à révoquer un accord controversé sur le cobalt avec le géant multinational en matières premières Trafigura en raison d’allégations selon lesquelles l’accord aurait violé les lois strictes visant à prévenir la corruption et les pots-de-vin en RDC.
Dans une lettre ouverte au Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde, le groupe de 33 organisations de la société civile a exigé que l’accord entre Trafigura et l’Entreprise Générale du Cobalt (EGC) soit annulé « pour non-respect de la loi sur la passation des marchés publics, manque de transparence comme prévu par la loi et danger de corruption ».
Aux termes de l’accord signé octobre 2020, d’une valeur de 80 millions de dollars, Trafigura aura le droit de commercialiser 50 % de tout le cobalt artisanal produit dans le pays, estimé à 10 % du total du cobalt produit en RDC.
Cependant, ces mouvements citoyens et ONG ont appelé le gouvernement à déchirer le contrat, au motif qu’il viole les lois sur la concurrence visant à prévenir la corruption et les pots-de-vin. Dans la lettre fulgurante, datée du 10 juin 2022, les groupes de la société civile ont écrit : « Il est notre opinion que l’accord entre EGC et Trafigura a violé les règles de concurrence visant à lutter contre la corruption en RDC. Cette affaire a été conclue dans le secret et, de ce fait, a foulé aux pieds l’article 17 de la loi n° 10/010 du 27 avril 2010, qui stipule que « les marchés publics sont passés par appel d’offres ». Aucun appel d’offres n’a eu lieu et Trafigura s’est donc vu attribuer le contrat de manière illégale ».
« L’accord complet n’a pas été publié dans tout son détail comme exigé par la législation de la RDC et les accords internationaux sur la transparence dans le secteur minier dont la RDC est signataire. Ce manque de transparence est troublant pour un projet aussi médiatisé. »
Les groupes ont également souligné la réputation ternie de Trafigura dans le monde qui, selon eux, devrait la disqualifier de tout contrat public. « Trafigura a été liée à de nombreux cas de corruption présumée et les exemples ci-dessous montrent comment d’autres pays africains ont souffert par leur association avec cette multinationale. »
Parmi les exemples cités dans la lettre, les organisations de la société civile ont attiré l’attention du Premier ministre à des cas de corruption supposée dans la République du Congo, où l’ONG Global Witness a accusé Trafigura d’avoir payé des pots-de-vin de plusieurs millions de dollars à Denis Gokana, le chef de la société pétrolière nationale du Congo-Brazzaville, la SNPC. La lettre a également signalé la relation entre Trafigura et le Général Leopoldino Fragoso do Nascimento (« Général Dino ») en Angola, un associé clé du Président de l’époque dos Santos et intermédiaire de Trafigura qui a plus tard été sanctionné par le gouvernement américain.
« Pourquoi la RDC et son peuple risqueraient-ils que la même chose ne se reproduise ici ? » ont demandé les organisations de la société civile.
La lettre a critiqué également le manque de transparence autour de l’accord et le manque de publication de documentation vitale par plusieurs organismes gouvernementaux. « Le gouvernement a bien publié le contrat de prépaiement entre EGC et Trafigura, mais ce document fait référence à d’autres documents qui n’ont pas été rendus publics, par exemple le Contrat de vente de cobalt. L’opacité est devenue caractéristique d’EGC et de son partenariat avec Trafigura depuis le tout début. Cela provoque la question : qu’est-ce qu’EGC et Trafigura ont à cacher ? »
La lettre d’avertissement intervient suite à des révélations par l’organisme de surveillance anti-corruption du gouvernement d’une série d’irrégularités dans la gestion de la Gécamines, la société publique minière responsable de l’accord EGC-Trafigura, qui a provoqué la perte de 400 millions de dollars.
Un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) a critiqué les termes des accords entre Gécamines et les plus grandes sociétés minières du monde et a conseillé au gouvernement d’interdire la cession des parts et droits de la Gécamines dans les contrats et partenariats en vigueur.
Les appels de ces groupes de la société civile au gouvernement pour révoquer ce contrat interviennent aussi quelques jours seulement après une décision similaire concernant la centrale hydroélectrique de Nzilo II. Dans cette affaire, l’Agence de régulation des marchés publics (ARMP) est revenue sur la décision ministérielle d’attribuer le marché à Lualaba Power. Dans son arrêt, l’ARMP a constaté que le Ministère des ressources hydrauliques et électricité n’avait pas respecté l’obligation de saisir l’ARMP dans le processus d’appel d’offres.
En conclusion de leur lettre, les organisations de la société civile ont écrit : « Nous, activistes soussignés, sommes soucieux du développement de notre beau pays et son peuple. Pendant trop longtemps nous sommes témoins de l’abus de nos ressources naturelles extraordinaires par des multinationales sans visage par le biais de pots-de-vin et de corruption. Excellence Monsieur le Premier Ministre, votre gouvernement cherche à assainir l’industrie minière. Nous vous appelons à révoquer cet accord et relancer le processus pour envoyer le signal le plus fort possible que la RDC a tourné la page sur la corruption du passé. »