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Par CAS-INFO

L’Afrique est-elle condamnée à l’instabilité politique chronique ? La question se pose inévitablement au moment où les coups d’état militaires refont surface sur le continent. En l’espace de deux ans, cinq régimes ont connu des changements brusques. Ou, comme au Tchad, ont vu le fils du président s’emparer du pouvoir. Ces irruptions des armées dans le champ politique s’ajoutent aux disputes de pouvoir et contestations en tous genres au cours de dernières années. Pour comprendre ces conflits politiques qui ne cessent de retarder le développement du continent, il faut se pencher sur la gouvernance en vigueur dans différents pays et interroger les problèmes sociaux majeurs auxquels sont confrontés un grand nombre des pays africains. C’est à cette tâche que s’est attelé le journaliste congolais et chercheur en études de conflits, Yvon Muya, dans son tout nouvel ouvrage, « La Révolution congolaise : Kabila, la rue et l’alternance », aux éditions Persée.

Plus grand pays francophone, par sa démographie (environ 100 millions d’habitants), et surtout doté d’immenses ressources naturelles, la République démocratique du Congo n’a pas été épargnée par les crises politiques et sociales depuis son indépendance en 1960. Le 24 janvier 2019, pourtant, les dirigeants de ce pays ont enfin célébré une première alternance pacifique au pouvoir. Mais pour une majorité des Congolais, ce changement historique ne s’est pas produit sans effusion du sang. 

« Il faut en effet remonter à 2015 pour mieux situer cette première alternance et ainsi cerner les enjeux autour de ces évolutions politiques dans le pays. C’est à cette période que les Congolais, profitant des divergences sur une réforme de la loi électorale, ont commencé à réclamer le changement, convaincus que le président Kabila manœuvrait pour s’éterniser au pouvoir. A partir de là un mouvement de contestation anti-Kabila, sans précédent, s’est installé », explique Yvon Muya.     

Paru le 2 février 2022 aux éditions Persée

Avec le vent du Printemps arabe qui venait de souffler au Maghreb, mais aussi la chute du président burkinabè, Blaise Compaoré, chassé par la rue, cette série d’événements donne forcément des idées au reste du continent. Seulement voilà, les Africains n’ont pas les moyens de réagir partout de la même façon.

« Reproduire l’exploit des mouvements citoyens burkinabés s’est avéré une tâche difficile pour les contestataires du pouvoir en RDC. Cela s’explique par le fait que nous sommes ici en face de deux structures institutionnelles et cultures différentes. Si le Burkina Faso a vécu sous l’autoritarisme de Blaise Compaoré pendant 27 ans, les Burkinabès ont su tout de même développer une société civile avec une certaine vitalité. On peut se poser la question concernant la RDC où les organisations de la société civile ont été confrontées à un dirigisme sécuritaire de Joseph Kabila. Ce concept ne vient pas de moi mais d’un conseiller de l’ancien président. Celui-ci estime en effet que cette façon de gouverner – avec de la poigne – était le meilleur schéma pour ternir un pays post-conflit comme la RDC ».

Une sorte de sécurocratie qui n’est pas cependant perçue de la même manière par les acteurs congolais. Les opposants de Joseph Kabila par exemple y ont vu une forme de « dictature » quand les organisations de défense des droits de l’homme dénonçaient un « pouvoir répressif ». Yvon Muya s’appuie d‘ailleurs sur cette confrontation sémantique et propose une réflexion intéressante à propos des régimes politiques contestés. Entre les thèses qui dénoncent la « dictature » du président et celles qui vantent son caractère « démocratique », l’auteur choisit le juste milieu. Il propose une analyse du régime Kabila sous le prisme de l’autoritarisme « doux », soit un régime qui sait manier violence modérée et conciliation. C’est grâce à cet équilibre machiavélique que nombre de dirigeants africains contestés ont réussi à perdurer. Même si, pour sa part, l’ancien président congolais, finit, lui, par quitter le pouvoir dans ce que le chercheur qualifie d’« effondrement graduel de son régime. ».  

Au-delà des disputes politiques, l’auteur se saisit de ces conflits pour interpeller à sa manière la classe politique congolaise. Celle-ci est pointée du doigt pour sa responsabilité dans la précarité dans laquelle vivent la majorité des Congolais depuis soixante ans. En alignant crises sur crises, les politiciens congolais n’ont fait que repousser indéfiniment toutes perspectives de développement. Si le pays a pu savourer une première alternance de son histoire, la pauvreté, le manque d’eau potable et des routes adéquates, eux, restent inchangés. Ainsi, met en garde, Yvon Muya, les bénéficiaires de l’alternance seraient bien inspirés de placer les conditions de vie de la population en tête des priorités s’ils ne veulent pas être la prochaine cible… de la rue.