Par CAS-INFO

Le dossier Bukanga-Lozo continue à faire des bruits. Le procureur général près la Cour constitutionnelle, a à nouveau saisi le sénat, pour obtenir l’autorisation de poursuites des sénateurs Augustin Matata Ponyo et Ida Kalonji. Dans une correspondance du 15 mai, le procureur évoque les articles 164 et 166 de la constitution qui attribuent la compétence pénale à la Cour constitutionnelle pour les infractions commises par le président de la République et le Premier ministre dans l’exercice de leurs fonction.

Face à cette situation, l’association sans but lucratif dénommée Paix, Justice, Travail (PJT), qui avait constaté le rétropédalage du procureur, dessaprouve son repédalage.

Voici l’intégralité de la réflexion de cette structure citoyenne

Dans l’affaire Bukanga Lonzo, les analystes s’attendaient à tout, sauf au rétropédalage de la Cour Constitutionnelle, l’une des trois plus hautes instances juridictionnelles de la RDC.

Cette analyse examine plusieurs questions dont les plus importantes sont celles-ci :

Question fondamentale 1 :
Dans l’hypothèse où le processus enclenché par l’Inspection Générale des Finances et relayé par la Justice congolaise ne serait pas politisé : Comment peut-on objectivement interpréter le rétropédalage du Procureur Général près la Cour Constitutionnelle?

Question fondamentale 2 :
Dans l’hypothèse où ce processus serait véritablement politisé, comme le laissent présager de nombreux signaux mis en évidence par plusieurs analystes indépendants : Comment peut-on objectivement interpréter le rétropédalage du Procureur Général près la Cour Constitutionnelle?

Question fondamentale 3 :
Alors que le rapport de l’IGF accuse le premier ministre honoraire Matata Ponyo d’avoir détourné 8 millions USD destinés à l’achat de la machine UBM, une lettre du Ministre de l’Industrie, datant du 27 mars 2019, adressée à Son Excellence Monsieur le Président de la République, mentionne clairement que la machine UBM a été effectivement achetée au prix d’environ 8 millions USD. Dans le même courrier, le Ministre de l’Industrie précise qu’une mission réalisée par le ministère de l’Industrie, le lundi 23 octobre 2017, a certifié que l’équipement acquis auprès de MIC Industries Inc était bien conservé dans les conteneurs à Bukanga Lonzo. De ce fait : Initier une procédure judiciaire sur la base des accusations controversées, ne serait-il pas de la précipitation ?

L’objectif de cet article est de répondre à ces questions, en adoptant une approche globalisante et objective afin d’aboutir à des conclusions non partisantes et impartiales.

Pour bien comprendre les éventuelles causes qui expliqueraient le rétropédalage de la Cour Constitutionnelle sur l’affaire « Débâcle de Bukanga Lonzo », dont l’Inspection Générale des Finances accuse le premier ministre honoraire Matata Ponyo Mapon d’en être l’auteur intellectuel, il faudra distinguer au moins quatre moments.

MOMENT 1 (28 avril 2021) : Le Procureur Général près la Cour Constitutionnelle écrit au Sénat pour l’informer que la levée des immunités du Sénateur Matata Ponyo Mapon se fera en congrès.

MOMENT 2 (12 mai 2021) : Le procureur Général près la Cour Constitutionnelle rétropédale, et informe au Sénat que la levée des immunités du Sénateur Matata Ponyo Mapon ne se fera plus en congrès mais plutôt par le Sénat.

MOMENT 3 (15 mai 2021) : Le président du Sénat apporte de l’éclairage sur la question de « levée des immunités du Sénateur Matata Mapon, dont les faits lui reprochés remontent au moment où il était Premier ministre ». Mais dans son discours, il ignore et contredit même le contenu de la lettre du Procureur Général près la Cour Constitutionnelle, en annonçant que le Sénat allait écrire à la Cour Constitutionnelle pour être édifié.

MOMENT 4 (18 mai 2021) : Le procureur Général près la Cour Constitutionnelle pédale à nouveau, mais en accélérant !

Moment 1 : Le premier réquisitoire du Procureur Général près la Cour Constitutionnelle

Dans son réquisitoire no. 1219/RMPI/0001/PG.C.CONST/MOP/2021 du 28 avril 2021, le Procureur Général près la Cour Constitutionnelle et Président du Conseil Supérieur de la Magistrature a.i., Monsieur Jean-Paul Mukolo Nkokesha, s’est adressé en ces termes au Président de l’Assemblée Nationale et au Président du Sénat :

« En ce qui concerne le Sénateur Augustin MATATA PONYO MAPON qui a été Premier Ministre au moment des faits, son cas ne pourra être examiné que par le Congrès conformément à l’article 166 de la Constitution ».

Ce bout de phrase est une citation directe tirée à la page 2 du réquisitoire en cause.

Ce réquisitoire, en quelque sorte, confirme la position du Procureur Général près la Cour Constitutionnelle en faveur d’un vote en Congrès à propos de la levée des immunités du premier ministre honoraire Matata Ponyo.

Pourtant, la suite des événements allait nous réserver des surprisses inédites.

Moment 2 : Le deuxième réquisitoire du Procureur Général près la Cour Constitutionnelle

Dans son deuxième réquisitoire no. 1419/RMPI/0001/PG.C.CONST/MOP/2021 du 12 mai 2021, le Procureur Général près la Cour Constitutionnelle rétropédale ! Le Procureur Général Jean-Paul Mukolo Nkokesha note ceci :

« En rectification de ce que nous avons demandé quant à l’autorisation de poursuites du Sénateur Augustin MATATA PONYO MAPON, nous vous prions de considérer qu’il appartiendra aux seuls Honorables Sénateurs, conformément à l’article 75 de la Loi organique no. 13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation, d’autoriser les poursuites de ce dernier et non au Congrès comme nous l’avons précédemment demandé »

La question que tous les analystes se posent c’est de savoir, lors de son premier réquisitoire, le Procureur Général près la Cour Constitutionnelle ignorait-il ces dispositions ?

Dans une très haute instance juridictionnelle comme le parquet près la Cour Constitutionnelle, est-il normal que l’on puisse rétropédaler aussi facilement comme ça? Que s’est-il réellement passé ?

Moment 3 : Le Président du Sénat apporte de l’éclairage sur la question de « levée des immunités du Sénateur Matata Mapon ».

Le Sénat, lors de sa plénière de vendredi 14 mai 2021, a porté à l’ordre du jour la question de la levée des immunités de l’ancien premier ministre Matata Ponyo. Alors même que le Procureur Général près la Cour Constitutionnelle avait clairement demandé au Sénat, dans son réquisitoire du 12 mai 2021, de considérer qu’il appartiendra aux seuls Honorables Sénateurs d’autoriser les poursuites de ce dernier et non au Congrès comme nous l’avons précédemment demandé, la plénière s’est encore appesanti sur la question de savoir si c’est le Procureur Général près la Cour de Cassation ou le Procureur Général près la Cour constitutionnelle qui devra être le juge pénal du premier ministre honoraire Matata Ponyo !

Ainsi, le samedi 15 mai 2021, le président du Sénat, le Professeur Modeste Bahati Lukwebo, en portant sur les fonts baptismaux, deux ouvrages de Professeur Pascal Mukonde Musulay axés sur les « Droits, libertés et devoirs de la personne et des peuples en droit international africain », au Centre d’études pour l’action sociale (CEPAS), a profité pour apporter de l’éclairage sur ce qui s’est réellement passé au Sénat. Dans son propos, il dit que : « Après débat, la plénière a décidé d’écrire au Procureur Général près la Cour constitutionnelle pour qu’il éclaire davantage le Sénat ». Aussi, a-t-il encore précisé qu’à ce jour le Sénat n’est même pas encore arrivé à constituer la commission qui devra examiner ce dossier.

En relisant le moment 2 puis le moment 3, on se rend compte qu’il semble véritablement avoir une anguille sous roche. Le Procureur Général près la Cour constitutionnelle dans son réquisitoire du 12 mai 2021 n’était-il pas clair? Le rétropédalage était-il en réalité mal perçu ou que les actions devant l’accompagner étaient mal ajustées?

Moment 4 : Le procureur Général près la Cour Constitutionnelle pédale à nouveau, mais en accélérant !

Enfin, dans son réquisitoire du 18 mai 2021, le Procureur Général près la Cour Constitutionnelle confirme à nouveau sa position du 12 mai 2021, en évoquant notamment les articles 164 et 166 de la Constitution. Que nous renseigne l’article 166?

Article 166
La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur.
La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation des membres du Gouvernement sont votées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur.
Les membres du Gouvernement mis en accusation, présentent leur démission.

Aussi, dans son réquisitoire, le Procureur Général près la Cour Constitutionnelle évoque également la machine UBM dont les fonds alloués pour son acquisition serait détourné par le premier ministre honoraire Matata Ponyo, au moment où il existe une lettre du ministre de l’Industrie, datant du 27 mars 2019, qui confirme que la machine UBM en cause a été bel et bien achetée par le Gouvernement.

Autant des questions de fond et de forme qui laissent perplexes plusieurs analystes et observateurs avertis.

Pourquoi le Procureur Général près la Cour Constitutionnelle a-t-il rétropédalé avant de repédaler en accélérant? Au regard de la succession des événements et du déroulement de la scène, il semble que la réponse à cette question est avant tout un enjeu d’ordre politique que judiciaire. Les récentes pressions exercées au Procureur Général près la Cour Constitutionnelle et à l’Honorable Président du Sénat semblent confirmer cette thèse.