Par Omar Kavota
Peter Pham, Envoyé spécial des USA pour la région des Grands Lacs, vient de séjourner à Kinshasa où il a conduit la délégation de la multinationale américaine General Electric. Basée en Afrique du Sud, cette firme est venue signer des accords d’une valeur d’au moins Usd 1 milliard à investir dans les secteurs de l’éducation, la santé, l’énergie, etc.
Pour autant que ces investissements viennent en appui au programme du Gouvernement dans ces différents secteurs, la venue à Kinshasa de Peter Pham a été aussi bien inattendue que son objet même qui est en dehors de son mandat dans la région des Grands Lacs.
En effet, lors de son séjour à Londres en janvier dernier, le Président congolais, Félix Tshisekedi Tshilombo avait annoncé plutôt la venue du Secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, dans le cadre des contacts noués à Washington où le chef de l’Etat a eu à séjourner à trois reprises l’année dernière, dont deux officiels et un officieux.
A Kinshasa, Peter Pham a laissé entendre que Kinshasa n’était pas prévu dans le programme de la mini tournée africaine de Pompeo, chose qui a quelque peu étonné certains observateurs. Un étonnement qui sera souligné par l’activité menée à Kinshasa qui ne rentre pas dans le cadre de son mandat dans la région des Grands Lacs.
En effet, Peter Pham a conduit une mission d’affaires privée alors que sa mission est de coordonner la politique américaine sur les questions transfrontalières, de sécurité, de politique (promotion de la démocratie) et d’économie dans cette région avec un intérêt particulier sur le renforcement de la société civile et la mise en place d’institutions démocratiques.
Ce mandat tire sa justification dans la situation d’instabilité qui caractérise la région des Grands Lacs depuis au moins deux décennies. On avait espéré qu’après avoir été longtemps cité dans un rôle néfaste pour cette instabilité, la désignation de Peter Pham allait permettre de réaliser des avancées, notamment par des pressions pour que toutes les parties de la région s’engagent résolument dans l’accomplissement, chacun, ses engagements contenus, notamment dans l’accord-cadre d’Addis-Abeba pour la paix, la sécurité et le développement de la région des Grands Lacs.
Si, à ce jour, Kinshasa a marqué plusieurs avancées dans ce cadre, il n’en est pas de même pour Kampala et Kigali qui continuent à héberger des criminels recherchés par la justice congolaise et à être cités dans l’activisme de déstabilisation de certaines zones à l’Est de la RDC.
On avait, par ailleurs, espéré que l’appoint américain allait être déterminant pour lutter contre le terrorisme islamiste qui sévit dans cette même partie de la RDC avec son cortège des tueries. Nul n’ignore que le groupe djihadiste ADF/MTM à la base d’au moins 3500 civils massacrés en Ville et Territoire de BENI (un peu plus que le nombre des victimes des attentats terroristes du Wold Trade Center aux USA).
Il est un secret de polichinelle que les ADF/MTM alliés à Islamic State/État Islamic recrutent leurs combattants dans les États de la Région où est Envoyé Peter Pham (Ouganda,Burundi, Rwanda, Kenya, Tanzanie, RDC,…) pour asseoir califat à BENI au Nord-Kivu.
Force est de constater que cela préoccupe moins Peter Pham pendant que les USA se battent contre I.S. en Syrie et à travers le monde.
Plutôt que d’alerter Washington sur la menace terroriste dans la région où il est envoyé, Peter Pham jaillit, et sans justification aucune, derrière des investisseurs privés. Si ce n’est pas la moquerie, c’est de la diversion!
Les quelques activités à caractère politique, notamment sa rencontre avec des opposants congolais, n’auront servi que de couverture de cet objet essentiel qu’auront été les affaires. L’on peut comprendre, dès lors, qu’au fond, le besoin de stabilité et de développement de la RDC n’entretien pas l’intérêt de Washington à la mesure de son discours.
Le contraire aurait bien étonné au regard du profil même de Peter Pham et ses opinions sur la République démocratique du Congo. A ses yeux, en effet, ce pays n’est que fictif et artificiel ; un pays en proie à des poussées séparatistes dans ses frontières héritées de la colonisation. Pire encore, dans une de ses tribunes sur la RDC qu’il avait publiée en 2012 dans New-York Times (To save Congo, let it fall apart), Peter Pham considérait que la RDC est un pays trop vaste qu’il faut partitionner. Pour lui, en effet, la balkanisation de la RDC permettrait à la communauté internationale d’affecter ses ressources au développement et à l’aide humanitaire et non au maintien de la sécurité.
Qu’est-ce qui aurait donc changé dans les positions de Peter Pham sur la RDC pour qu’aujourd’hui l’on croit qu’il mènerait à bien une mission de pacification de ce pays et la région des Grands Lacs pour, justement, créer les conditions d’assistance humanitaire et de développement ? L’on sait, en effet, que l’une des causes d’instabilité dans la région est la pauvreté de la population et que les programmes de co-développement, notamment à travers la redynamisation de la CEPGL, aideraient à y mettre fin.
On aurait au moins espéré qu’au-delà du discours, les USA apportent une assistance à la RDC pour la mise en place des instruments nécessaires à la promotion de la bonne gouvernance, notamment par la lutte contre la corruption. A la place, Peter Pham a coaché un investissement privé dont il tirerait certainement des intérêts personnels dans un pays, la RDC, dont il a déploré la situation de corruption lors de ce dernier séjour.
Pendant ce temps, la menace de balkanisation du pays de Lumumba, longtemps dénoncée par le Président d’alors, Joseph Kabila, à l’époque même Peter Pham en faisait l’apologie, cette balkanisation n’a jamais été aussi précise aujourd’hui. Les FARDC la combattent farouchement avec le soutien de la population et des médias. En même temps, Washington, à travers Peter Pham, jouent une autre partition en croyant pouvoir tirer profit d’une certaine mise au pas de ses dirigeants pour se repositionner dans l’économie congolaise.
Il revient alors aux congolais de savoir situer leurs vrais intérêts dans les relations internationales sans se laisser aller à l’angélisme des ouvertures diplomatiques dont le pays ne tire pas toujours des dividendes, bien au contraire. Les Kabila, les Tshisekedi et bien d’autres leaders passeront, mais la RDC, elle demeurera et devra le demeurer dans les frontières de ses pères fondateurs qui en ont versé de leur sang. En toute chose donc, nos dirigeants doivent songer à préserver la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale pour espérer continuer à diriger dignement ce pays,sans diktats de qui que ce soit.
Comme le disait si bien l’ancien Président J.Kabila en son temps, « ce pays a certainement besoin des conseils pour aller de l’avant, mais surtout pas d’injonctions ». Et ce pays a besoin de savoir réellement qui sont ses amis et qui ne le sont pas. Peter Pham est, en tout cas, loin d’en être un…
Me OMAR KAVOTA, Avocat, Vice-président du Conseil d’administration du CEPADHO (Centre d’Etudes pour la promotion de la Paix,la Démocratie et les Droits de l’homme).